Petite histoire de la danse de société au 18ème siècle

Ah, le 18ème siècle! Le Siècle des Lumières : sa philosophie, son Encyclopédie, son libertinage… sa danse ?

Le 18ème siècle nous évoque inlassablement des perruques poudrées et des robes à paniers déambulant dans des jardins soigneusement entretenus. Mais pour ce qui est de la danse, nos images mentales deviennent floues.

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Ne cherchez plus, vous êtes au bon endroit !

Avant de commencer, laissez-moi vous indiquez quelques observations.

Notre article se limite à l’Europe de l’Ouest, en particulier à la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Évidemment, un seul article de blog ne peut prétendre couvrir toute la planète. Et une seule personne ne peut pas être spécialiste tout à la fois des danses d’Espagne, du Venezuela, du Mali et de Thaïlande. Je suis juste un humain 😉

Continuons sur les limites, en se demandant :

Qu’est-ce que le 18ème siècle ?

De prime abord, la question semble idiote, puisque le 18ème siècle stricto sensu s’étend de 1701 à 1800. Mais bien sûr ces dates ne représentent rien pour les contemporains.

Choisir des dates qui ont du sens pour toute l’Europe occidentale, c’est mission impossible. Alors je fais le choix d’une approche « hybride ».

L’article s’étalera d’environ 1702 à 1789. C’est-à-dire, du début du règne de la reine Anne jusqu’à la Révolution française. Je le répète, au niveau de la danse, ces dates ne représentent rien. Elles me permettent de cadrer le propos, en englobant la plus grande partie du siècle, à l’exclusion de l’extrême fin. En effet, le répertoire dansé de la Révolution à la fin du Premier Empire, ou le répertoire dit Regency  outre-Manche, fera l’objet d’un article dédié.

Pour ce qui concerne la période précédente, je vous renvoie à l’article sur la danse de bal au 17ème siècle.

Rappelons que cet article – et le blog tout entier – s’intéresse uniquement aux danses de bal, pas aux danses de spectacle. La limite est parfois floue, surtout au 18ème siècle. En effet, ce n’est qu’au cours du 19ème siècle qu’une séparation nette apparaitra entre la danse de professionnels et d’amateurs. Pour l’heure, il n’y a pas de différence fondamentale entre ce que l’on danse entre amis le samedi soir et ce que l’on va voir danser sur scène au théâtre.

passacaille danse baroque du 18ème siècle george bickham notation feuillet
George Bickham, Passacaille, 18ème siècle.

Les danses de couples, dites « baroques »

Les danses que l’on appelle aujourd’hui « baroques » se forment vers le milieu du 17ème siècle, et connaissent de beaux jours jusqu’au milieu du siècle suivant. J’utiliserai peu ce terme de « baroque », qui recouvre autant la reconstruction de danses anciennes que des créations d’aujourd’hui. Pour en savoir plus, je vous conseille l’excellent article d’Hubert Hazebrouck : La danse baroque, entre références et projets.

Je parle bien d’un style de danse très codifié : position des pieds, mouvements des bras, etc. Les maîtres de danse vont d’ailleurs créer des systèmes de notation perfectionnés pour écrire de façon condensée les mouvements. Si André Lorin est le premier à proposer une telle notation, c’est surtout le système de Pierre Beauchamp et Raoul Feuillet qui connaîtra le succès. Cette notation permet à la danse de s’exporter dans toutes les cours d’Europe.

Le style des danses de couples, au 18ème, se caractérise par une recherche de la symétrie des mouvements des danseurs.

La courante s’efface au profit du menuet, véritable star du 18ème siècle. Cette danse précise et mesurée permet à un couple de se montrer sous son meilleur jour (ou pas). En effet, les danses baroques de bal se dansent un couple à la fois, sous le regard de l’assemblée, qui scrute et juge les danseurs.

Si le menuet est la danse de couple la plus banale de l’époque, il ne faut pas oublier la gavotte, la bourrée ou encore la forlane.

Après 1750, seul le menuet reste régulièrement pratiqué, souvent en début de bal. Les maîtres de danse continuent à enseigner les autres danses comme exercices techniques.

notation d mouvement 18ème siècle raoul feuillet pavane des saisons 1700
Raoul Feuillet, La Pavane des Saisons, chez l’auteur, Paris, 1700.
Le document ne contient pas de description textuelle, uniquement ce genre de schéma. Bonne lecture!

L’allemande du 18ème siècle

Vers 1760, une danse arrive à Paris et va rapidement gagner les faveurs de toute l’Europe : l’Allemande. Il s’agit d’une danse de couple, basée sur des passes de bras qui vont du plus simple au plus complexe.

Le pas d’allemande est simple, toute la difficulté se situe dans les mouvements de bras. Il faut se lâcher et se reprendre les mains au bon moment, pour ne pas faire de nœuds !

Pour vous donner une image mentale rapide et correcte de l’allemande, pensez à au ländler de la Mélodie du Bonheur. Le ländler et l’allemande ont en effet beaucoup en commun : tant leurs origines  bavaroises / autrichiennes, que leur dispositif  (pas et type de figures).

Pour vous donner une image de reconstruction au plus proche de l’allemande historique, je vous propose cette vidéo de l’ « allemande orléanoise » selon Jean Robert, par Irène Feste et Guillaume Jablonka.

Plusieurs sources décrivent les allemandes tout au long du 18ème siècle, notamment Dubois, maître Guillaume et Jean Robert. Il s’agit d’un long texte suivi décrivant la passe, généralement accompagné d’une (et une seule) gravure par passe. Celle-ci n’aide pas toujours le chercheur, puisqu’on ne sait si elle représente la position de départ, d’arrivée ou un moment quelconque du mouvement !

passe d'allemande 18ème siècle guillaume Jablonka yvonne vart danse de couple

6ème passe d’Allemande, de Dubois, dans A. Riou, Y. Vart et al., Principes d’Allemande de Mr Dubois (…), Lyon, 1991.

La contredanse au 18ème siècle

La contredanse (country dance) a connu un succès important en Grande-Bretagne tout au long du 17ème siècle. Au siècle suivant, la contredanse anglaise va continuer sur sa lancée et s’exporter dans tout le monde occidental.

La contredanse anglaise va aussi donner naissance à (ou au minimum parrainer) un nouveau type de contredanse dit « à la française ». Mais d’abord, comment évolue la country dance au fil du 18ème siècle ?

Country dance

Au 17ème siècle, la country dance connaît nombre de formations différentes : en ronde, en carré pour 4 ou 8 danseurs, en colonne pour 6 ou 8 danseurs, en trios, etc. Le longways for as many as will, « la colonne qui accueille autant de couple que l’on voudra », n’est alors qu’une disposition parmi d’autres.

Au tournant des 17ème et 18ème siècle, le longways for as many as will devient LA forme standard de la country dance. C’est quasiment la seule forme qui subsiste durant le siècle des Lumières. La progression se normalise également : tous les longways du 18ème siècle ont une progression en triple minor set. C’est-à-dire que le couple mener va interagir avec les deux couples en dessous de lui.

L’évolution de la country dance au 18ème siècle

Dans le premier tiers du 18ème siècle, la mode est au hornpipe, un rythme typique en 3/2. Vous connaissez l’inévitable Mr Beveridge’s Maggot, mais il y a des dizaines d’autres danse en 3/2 dans les recueils de Playford – et de ses successeur / imitateurs. J’ai par exemple étudié Hambleton Round O.

Par la suite, les musiciens délaissent le hornpipe au profit du reel (2/4, 4/4) ou du jig (6/8).

caricature de danse au 18ème siècle contredanse anglaise country dance triple minor set dancing master
George Cruikshank, La Belle Assemblée, or Sketches of characteristic dancing, 31 août 1817. Détail.

La rationalisation touche également les figures. Elles deviennent moins nombreuses, moins inventives aussi. Cela est dû, sans doute, à la pratique du « calling ». Les danseurs ne répètent plus les danses à l’avance chez eux. Le meneur (souvent la première dame de la colonne) annonce les figures au début de la danse. On attend des danseurs qu’ils comprennent et mémorisent la danse sur le moment. De fait, les figures doivent être plus simples et faciles à appréhender pour tous.

Cette simplification des figures va de pair avec l’introduction de pas spécifiques dans la country dances. Il n’est plus question de simples et double comme dans les premières éditions de Playford. Les danseurs font à leur guise des pas plus complexes, venus d’Ecosse ou de France.

Les sources de la country dance au 18ème siècle

Parmi les grands auteurs de recueils de country dances au 18ème siècle, on compte John Young (continuateur de Playford), John et John Walsh, père et fils (imitateurs de Playford, actifs jusque 1760) et la dynastie Thompson (trois générations actives entre 1754 et 1805).

Les Anglais ne sont pas les seuls à publier des country dances en colonne. Il y a également des sources françaises, allemandes, autrichiennes et même des Pays-Bas anciens. C’est dire comme ces danses plaisent à toute l’Europe !

Contredanse Française, dite « cotillon »

Un style particulier de contredanse naît en France à l’aube du 18ème siècle. C’est la contredanse « en carré », aussi dit « à la française ».

Les origines de la contredanse à la française

On a du mal à cerner l’origine de ce type de contredanse. On sait qu’en 1684, un certain Maître Isaac initie Louis XIV et sa cour aux country dances anglaises. Le roi et les courtisans s’entichent de ce style de danse convivial, qui contraste avec les danses de couples qu’ils pratiquaient jusque-là. André Lorin, maître de danse à la cour de France, se rend en Angleterre. Il en ramènera plusieurs contredanses et les publiera. D’autre suivront son exemple, en copiant ou en créant de toute pièce des danses « à l’anglaise ».

On sait d’autre part qu’à la même époque, un vieux bransle pour quatre danseurs retrouve une seconde jeunesse. Parce que soudain, ça devient branché de la danser sur l’air du cotillon.

Hé oui, changer la musique suffit parfois à faire revenir une danse au goût du jour ! C’est comme s’il suffisait que DJ Casper mette le Madison sur une nouvelle musique pour que les jeunes de 1996 l’adoptent. Voir Cha Cha Slide.

Quelque part entre ce bransle sauvé de l’oubli et les nouvelles danses en colonne importées – ou copiées d’Angleterre, une forme inédite émerge : la contredanse à la française.

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James Caldwall, The Cotillion Dance, 1771.

Dispositif de la contredanse française

Elle se danse en carré de quatre couples. Sa structure est simple : un ensemble de plusieurs figures appelées « syncopes » ou « entrée », alterne avec un refrain.

Les syncopes sont les mêmes d’une danse à l’autre. Elles sont généralement au nombre de 9, mais on peut en trouver moins (parfois une seule) ou plus (jusqu’à 21 !). La figure, quant à elle, est propre à la mélodie.

Ce qui rend cette danse bien française, ce sont ses pas. En effet, le vocabulaire est proche de celui des danses de couples que les nobles français pratiquaient déjà : rigaudon, contretemps de gavotte, demi-contretemps…

Les grands auteurs français de contredanses à la française sont Raoul Feuillet (neuf recueils de danses entre 1700 et 1709), De La Cuisse (Répertoire des bals à partir de 1762), et Pierre-André Landrin dans les années 1770. Mais comme pour les anglaises, les recueils ne sont pas l’apanage des nationaux !

Ainsi, des contredanses, tant françaises qu’anglaises, sont publiées dans les Provinces-Unies et les Pays-Bas autrichiens, dans les principautés allemandes, en Autriche, et même en Amérique ! C’est tout l’Occident qui s’engoue pour les danses à figures en colonne et en carré.

Si bien que l’on peut dire : le 18ème siècle, siècle de la contredanse.

un bal au 18ème siècle longways country dance danse en colonne bath jane austen
Un bal aux Assembly Rooms
Thomas Rowlandson, The comforts of Bath, 1798.

Sources pour la danse au 18ème siècle

Jean-Michel Guilcher, La contredanse. Un tournant dans l’histoire française de la danse, Editions Complexe et Centre National de la danse, Bruxelles, 2003. Il existe plusieurs éditions de ce livre paru initialement en 1969.

Compagnie Divertimenty, « Qu’est-ce que la danse baroque », http://divertimenty.org/la-compagnie/quest-ce-que-la-danse-baroque/

Anne Daye, « A history of country dancing, with an emphasis on the steps », https://colinhume.com/dehistory.htm

Alain Riou, Yvonne Vart, et le groupe Révérences, Principes d’Allemandes par Mr Dubois de l’Opéra, étude critique et structurale, Fac similé et retranscription, reconstitution, les auteurs, Lyon, 1991.

Sylvie Granger, Danser dans la France des Lumières, Presses universitaires de Rennes, Collection Histoire, Rennes, 2019.

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