Longways: mode d’emploi
Longways, reel, contra, colonne, dispositif en double front, contredanse anglaise… Vous êtes perdu(e) ?
Quand le maître à danser annonce de se placer en « reel pour trois couples », il pourrait aussi bien annoncer « en klingon de quidditch »… ce serait la même chose pour vous.
Une fois que la danse commence, tout s’emmêle dans votre tête. Vous cherchez à comprendre où aller, et pourquoi vous ne devez pas systématiquement contourner Monique quand le caller annonce « cast out ».
Et d’abord, d’où viennent ces mots barbares ?
Sont-ils d’époque, ou inventés par un petit malin qui s’est dit que « face à la Présence », ça parlerait à tout le monde (la bonne blague).
Pas de panique ! Dans cet article, je vous dis tout sur la contredanse en colonne et son histoire, avec des astuces pour vous repérer facilement.
Où se placer, comment progresser, comment dansait-on à l’époque ? La forme la plus typique de la contredanse anglaise n’aura plus de secret pour vous !
C’est quoi un longway ?
Le longways, « contredanse en colonne » ou encore contra line est une forme de danse, où les danseurs sont disposés en deux lignes face à face. On dit aussi « dispositif en double front ». Ce type de danse contient généralement un élément de progression. C’est-à-dire que les couples vont changer de place au cours de la danse.
Les longways sont associés à l’Angleterre dans l’imaginaire collectif. Il suffit de regarder un film historique anglais pour s’en rendre compte (Jane Austen, Poldark…). Pourtant, il existe énormément de contredanses anglaises qui ne sont pas des longways : cercles, doubles cercles, carrés, ligne…
D’autre part, on trouve des longways en-dehors du territoire anglais, notamment dans le répertoire traditionnel wallon (La Gavre, La vieille Maclote); en France au XVIIIe siècle; aux Etats-Unis, etc.
Mais je m’égare!
Comment se place-t-on pour un longways ?
Une ligne de cavaliers (meneurs) fait face à une ligne de dames (menés). Chacun fait face à son partenaire.
Sauf indication contraire, le longways est « for as many as will », c’est-à-dire « pour autant [de couples] que l’on veut ». C’est surtout de ce type de danse dont je vais parler.
Les sources anciennes spécifient parfois « Longways for x couples ». Le nombre de couples est alors limité. John Playford (et ses successeurs, 1651-1728) a même l’obligeance de nous dessiner la disposition des danseurs.
Dans les publications modernes, on parle alors plutôt de « Set pour x couples » et pas de longways. En Ecosse, on parlera de « reel pour x couples ». Les colonne pour un nombre limité de danseurs n’ont pas toujours d’élément de progression.
Bien, nous somme en position.
Où est ma tête ? Où sont les feeeeeemmes ?
Maintenant, il nous faut un langage commun pour nous orienter correctement. Sans ces repères, nous serions comme des marins sans boussole – ou comme des automobilistes sans GPS.
Ces repères sont indispensables pour décrire, enseigner et apprendre la danse.
La Présence est le premier élément à repérer pour se placer correctement.
La Présence (aussi appelée la « tête » ou « top »), c’est la place d’honneur du bal. La place du Roi, ou la personne mise à l’honneur pendant le bal. De nos jours, c’est la place des musiciens (ou de leur pendant électrique).
Quand les danseurs font face à la Présence, l’homme se place à gauche et la dame à droite.
Pendant la danse, vous allez toujours « monter » vers la Présence, ou « descendre » vers le « bas », à l’opposé de la Présence. C’est ce qu’on appelle la progression, j’y reviendrai.
Jusqu’au XVIIIe siècle, les danseurs sont toujours placés « proper », ce qui signifie que tous les meneurs sont du même côté, avec leur partenaire en face d’eux.
A partir des années 1700, il arrive que les longways soient « improper », ce qui signifie que les partenaires du couple actif échangent leur place. Ainsi, les meneurs des couples actifs se retrouvent dans la ligne des menés, et vice-versa.
Les contra, longways modernes américains, sont toujours impropers.
Bien, la danse peut commencer !
Progression dans un longways Duple Minor Set – “Hands four!”
Une note importante en passant !
Même si on parle de progression, le longways n’est pas une « danse progressive ». Les danseurs ne changent pas de partenaire au cours de la danse, à l’inverse de danses progressives comme le cercle circassien, par exemple. Dans la contredanse en colonne, ce sont les couples qui progressent.
Votre partenaire de départ restera votre partenaire tout au long de la danse, alors choisissez-le judicieusement 😉
Lorsque le maître à danser annonce “Hands four ! ” ou « Mains à quatre à partir de la tête », cela signifie qu’on va danser un longways duple minor set.
Cette expression un peu compliquée signifie simplement que le longways sera composé de petits groupes (des minor sets) de deux couples. Ces quatre personnes vont interagir entre elles pendant une reprise de danse.
Pour repérer nos trois partenaires de départ, on se donne les mains en formant des cercles de quatre personnes. Pour éviter qu’un couple se retrouve seul au milieu du longways, on forme les cercles à partir de la tête.
Ainsi, si un couple doit rester seul, il sera tout en bas du longways. Mais pas d’inquiétude pour lui : il pourra quand même danser !
Une fois qu’on a formé ces petits cercles, les couples peuvent se numéroter. Le couple qui est le plus proche du haut sera numéro 1 (couple actif), l’autre sera numéro 2.
Les couples « 1 » vont, au fil de la danse, descendre vers la bas du longways. A l’inverse, les couples « 2 » vont petit à petit monter vers la Présence.
Mais comment se déplacent les couples ?
A la fin de chaque reprise de la danse, les couples 1 et 2 du minor set auront changé de place : les 1 seront plus proches du bas, les 2 seront plus proches de la Présence. C’est le principe de la progression.
Il y a de nombreuses figures qui permettent de progresser : un simple demi-tour avec votre voisin est déjà une progression. Les chorégraphies des longways sont très créatives pour ce qui est de faire progresser les couples.
A la reprise suivante, le couple 1 restera couple 1 et dansera avec un autre couple 2, juste en-dessous de lui.
Le couple 2 gardera lui aussi son numéro et dansera avec un autre couple 1, juste au-dessus de lui.
Les couples 1 descendent donc toujours, tandis que les couples 2 remontent toujours vers la Présence. Les couples gardent leur numéro jusqu’à l’extrémité de la colonne.
Au bout du longway…
Quand un couple 1 atteint le bout du longways – c’est-à-dire, quand il n’y a plus de couple 2 en-dessous de lui, il reste inactif (on dit aussi « mort ») pendant toute une reprise de la danse.
Ce n’est pas le moment d’être distrait ! Il est utile de se remémorer les mouvements de l’autre couple pendant qu’on est inactif.
A la reprise suivante, le couple inactif réintègre la danse en tant que couple 2. Soyez prêts à revenir dans la danse !
Le même principe est d’application lorsqu’un couple 2 atteint le haut du longways : le couple passe son tour pour une reprise de la danse, puis il réintègre la danse avec un nouveau rôle « 1 ».
Le longways duple minor set est la forme la plus courante. Donc avec les informations ci-dessus, vous pouvez déjà faire votre petit bonhomme de chemin en bal. Mais si vous dansez des chorégraphies plus pointues ou plus historiques, vous aurez besoin de la suite.
Longways Triple Minor Set– « Hands six ! »
Il existe aussi une autre forme de longways, composé de sous-groupes de trois couples: le triple minor set. Le maître à danser annonce alors “Hands six !” ou « Mains à six à partir de la tête ».
On forme alors des cercles de six personnes, toujours à partir de la tête.
A nouveau, le couple placé le plus haut (et qui fait face en bas) sera le couple n°1. Juste en-dessous du couple 1, ce sera le couple 2. Et forcément, le dernier couple sera le couple 3.
Jusque-là, vous suivez toujours ?
A la fin de chaque reprise de danse, les couples 1 et 2 ont changé de place. Le couple 3 reste à la même place qu’au début.
Ensuite, le couple 1 recommence exactement la même danse, avec les deux couples en-dessous de lui.
Le couple 2 devient couple 3 (avec de nouveaux couples 1 et 2), tandis que le couple 3 devient couple numéro 2, avec le même couple 1 et un nouveau couple 3.
C’est un peu complexe, n’hésitez pas à regarder les images pour bien comprendre. En pratique c’est plus simple, promis !
Les couples 1 descendent et restent 1 tout du long, comme pour un longways « classique ». Les couples 2 et 3 remontent vers la Présence et alternent à chaque reprise : 2, 3, 2, 3, etc.
Au bout du longway…
C’est là que tout se complique ! Bon, j’avoue… c’était déjà pas évident avant, mais on y est presque 🙂
Il arrive un moment où le couple 1 n’a plus qu’un seul couple en dessous de lui : un couple 2. A ce moment-là – et c’est primordial – ces deux couples doivent continuer à danser, avec un couple 3 « fantôme ».
Quand vient la fin de cette reprise, le couple 1 se retrouve tout en bas, en dernière place du longways et le couple 2 juste au-dessus.
A la reprise suivante (n+1), l’ancien couple 1 sera inactif, tandis que le couple 2 deviendra couple 3 dans un nouveau sous-groupe (il danse alors de façon normale).
Pour la reprise qui suit (n+2), l’ancien couple 1 réintégrera la danse en tant que couple 3.
A l’autre bout du longways…
Quand un couple atteint la Présence, il joue une dernière fois le rôle du couple 2. Ensuite, il reste inactif pendant deux reprises complètes. Il attend en fait qu’assez de couples soient disponibles sous lui pour danser normalement.
A la fin de sa première « période d’inactivité », un couple viendra le rejoindre dans son « inactivité ».
A la fin de sa deuxième « période d’inactivité », un troisième couple viendra le rejoindre. Ensuite, le couple pourra recommencer à danser, dans le rôle du couple 1, avec les deux couples qui se trouvent sous lui.
Conclusion : dans un longways triple minor set, il faut danser autant qu’on peut, même avec des couples « fantômes » s’il le faut.
En bas du longways, on a une reprise d’inactivité. En haut du longways, on en a deux.
Surtout, pas de panique : c’est plus facile à danser qu’à comprendre !
Une progression rare
Vous danserez rarement un Triple minor set. Ceci parce que la progression est assez ardue, mais surtout parce que les couples 3 ne font rien d’intéressant. Vraiment.
Le troisième couple sert surtout de faire-valoir au couple actif. Le couple n°3 est contourné dans tous les sens, participe parfois à une promenade ou à un cercle, mais il n’a jamais l’occasion de briller.
En général, les danses en triple minor set ne sont pas très satisfaisantes pour le danseur d’aujourd’hui. Quand elles le sont, le troisième couple s’ennuie ferme.
Les maîtres à danser ont plusieurs solutions pour rendre la danse agréable pour tous :
- Ne pas danser cette chorégraphie – la solution simple et efficace ;
- Ajouter une figure pour le couple 3, afin de garder tous les danseurs en mouvement ;
- Transformer la danse en Duple Minor Set ;
- Transformer la danse en set pour trois couples : chaque couple joue une fois le rôle actif et finit en troisième position. Il n’y a alors que trois reprises ;
- Transformer la danse en set pour quatre couples : une solution très commune dans les danses écossaises. Le couple 1 danse avec les couples 2 et 3, puis avec les couples 3 et 4. Le couple 1 se retrouve alors en 4e position, et un nouveau couple actif mène la danse. Il y a huit reprises pour que chacun retrouve sa place de départ.
Wholeset progression
Après ce processus complexe, place à quelque chose de plus simple !
La progression « wholeset », que je traduirais par « en un bloc ». Les couples n’ont pas besoin d’être numérotés. Le couple de tête est le meneur.
A la fin d’une reprise de danse, le couple meneur se retrouve en dernière position dans le longways (tout en bas).
A la reprise suivante, un nouveau couple se retrouve en tête et devient le meneur.
Ce type de progression existe pour des longways as many as will, comme Sir Roger of Coverley (XVIIe – XXe s.), par exemple. On l’observe aussi dans certains longways à 3 couples, entre autres: Upon a summer day (Playford, 1670-1690), La Colonnese (Giovanni Ambrosio, 1463).
Dans le répertoire traditionnel, cette progression est assez courante : Waves of Tory (Irlande), The Willow (îles britanniques), Branle de Mariembourg (Belgique)…
Autres progressions en longway
Quelques longways utilisent des progressions différentes. Le dispositif de progression est alors unique à cette danse.
C’est le cas de Half Hannikin (Playford 1651), où chaque danseur progresse d’une place sur sa gauche à chaque reprise.
Il existe aussi des doubles, et même des triples progressions, c’est-à-dire qu’une reprise de danse vous fait avancer de deux ou trois couples, à la place d’un seul.
Si vous croisez un de ces OCNI (objets chorégraphiques non identifiés), ne paniquez pas!
Ces danses sont souvent plus perturbantes que réellement compliquées. D’ailleurs les danseurs confirmés ont plus de mal à s’y faire que les débutants !
Progression historique, “courtoise” ou “boule de neige”
Est-ce que les progressions décrites ci-dessus sont historiques ?
La progression « wholeset » est historique. Elle est attestée au moins depuis le XVIIe siècle.
Les progressions duple et triple minor set, comme elles sont décrites plus haut, sont des créations récentes.
En effet, c’est assez nouveau que les danseurs commencent à bouger tous en même temps. Le but des longways aux siècles précédents était de mettre un couple, et un seul, en valeur.
Comment progresse-t-on historiquement dans un longways ?
Tous les danseurs forment une colonne, sans se numéroter. Seul le couple de tête commence à danser, avec un ou deux couple(s) qui se trouve(nt) juste en-dessous de lui.
Les autres danseurs restent immobiles. Une fois que le couple meneur arrive à votre couple, vous pouvez commencer à danser, pas avant.
Le premier couple 2 se retrouve en tête. Il attend qu’il y ait assez de couples disponibles à ses côtés pour commencer à danser : après une reprise pour les duple minor set, après deux reprises pour les triple minor set.
La danse se termine quand le couple meneur est descendu tout en bas du longways puis remonté jusqu’en haut. Certains auteurs proposent de continuer encore trois reprises après ça, ou même de danser jusqu’à ce que le couple meneur arrive une deuxième fois tout en bas du longways.
Ce type de progression historique n’a pas de nom, puisqu’il était le seul à exister.
Par la suite, personne n’a pensé à donner un nom à un système obsolète. On lit parfois « progression courtoise » ou « progression boule de neige », parce que peu de danseurs dansent au début, puis de plus en plus de danseurs rejoignent la danse.
Pourquoi danse-t-on rarement les longways de façon historique?
La progression « boule de neige » est la seule progression correcte pour tous les longways des XVIIe et XVIIIe siècle (avec le wholeset), mais vous ne la pratiquerez que très rarement.
Et c’est bien normal ! De nos jours, on vient pour danser, pas pour regarder danser. La philosophie de la danse de société a évolué.
La progression boule de neige est très inégalitaire, entre le couple meneur qui danse tout le temps, et le dernier couple qui ne danse que la moitié du temps. Aujourd’hui, les danseurs attendent quelque chose de plus équitable.
Enfin, cette progression historique est celle qui fait durer la danse le plus longtemps. Par exemple, un longways « court » avec 12 couples, où chaque reprise de danse dure seulement 18 secondes.
Nombre de reprises nécessaires : 45.
Temps total : 13 minute et 30 secondes !
On comprend alors qu’à l’époque, accepter une invitation à danser était un vrai engagement.
Longways atypiques
Toutes les danses en colonnes dont j’ai parlé plus haut utilisent le couple comme unité : ce sont des groupes de deux danseurs qui progressent. On dit parfois : dispositif en double front.
Mais il existe d’autres formes de contredanses en colonne.
Il est par exemple possible d’avoir un dispositif en triple front. Cela veut tout simplement dire que chaque cavalier sera accompagné de deux danseuses, une de chaque côté. Les couples deviennent des trios.
C’est le cas notamment dans Rustic reel (Huestis, 1841) et dans les swedish dances, typiques des années 1820.
Juste pour le fun, je mentionne Rakes of Mallow (Irlande), chorégraphiée au début du XXe siècle par Lorcán Ó Muireadhaigh (1883-1941). C’est la seule danse où les trios sont composés d’un homme à gauche, et de deux dames à sa droite.
On peut aussi progresser par lignes de quatre danseurs : Siege of Ennis (Irlande), La Tempête (1820), les mescolanzes (années 1820 – 1830) …
Heureusement, ces longways atypiques utilisent une progression duple minor set, ce qui les rend plus simples !
Conclusions
Je réalise que cet article est très dense. C’est pourquoi je vous ai concocté un aide-mémoire super pratique !
On y récapitule :
- Comment se placer en colonne
- Comment progresser en duple et triple minor set
- Un lexique des termes utiles pour la contredanse.
- Le tout avec des schémas clairs !
Avec ce guide, vous ne vous perdrez plus !
4 commentaires
Marie-Claude BONNET
Par ces temps difficiles où l’on ne peut plus danser j’ai eu grand plaisir à lire « histoire de bal », cela m’ a rappelé les quelques stages auxquels j’ai participé en Seine et Marne, à Lorrez le Bocage. J’ai fait tous les stages animés par Cécile dans la salle polyvalente de Lorrez le Bocage et j’en garde un merveilleux souvenirs.
Amitiés à Cécile et Eric
Sandra Stevens
Merci Marie-Claude, je suis heureuse que le blog vous plaise. Je transmets vos amitiés à Cécile et Eric.
Chris
Époques où tout est très codifié… Tellement agréable de vous lire et d’essayer de mieux comprendre tout cela….
Merciiiiiiiiiii
Sandra Stevens
Merci Chris!