L’Aéronette, une reconstruction éprouvante! – Partie 2

Qu’est-ce donc qu’une « Aéronette »? Si vous vous posez encore la question, c’est que vous avez manqué l’article précédent. L’Aéronette est une « valse marchée » composée en 1909 par Auguste Bosc. La chorégraphie est signée Charles-Paul Lefort.

Ce qui fait sa particularité, c’est sa présence médiatique dans tout le monde occidental. Tout le monde en parle dans les journaux, les grands titres comme les quotidiens régionaux. On en fait même des caricatures!

Et c’est sur base de ces multiples sources que je vais tenter – sous vos yeux ébahis – de remonter l’Aéronette. C’est parti!

La première partie de cet article se compose d’un récit épique où l’héroïne combat courageusement une institution nationale française afin de lui extirper un document d’une valeur inouïe. Si vous préférez aller droit au but, descendez jusqu’au sous-titre « Convergences et divergences des sources de l’Aéronette ».

La saga des sources

Enfin, la reconstruction de l’Aéronette !

Mais pourquoi m’aura-t-il fallu quatre mois pour rédiger cet article ?

Vous vous souviendrez que, dans un article précédent, j’ai dressé la liste des sources à ma disposition pour reconstruire le « boston marché » de Charles-Paul Lefort. Il y avait d’innombrables articles de presse régionale, nationale et internationale. Hélas quantité n’est pas qualité : tous reprenaient une même description très – trop ! sommaire.

Il y avait aussi une archive vidéo : M. Lefort et son épouse (probablement) y font une démonstration de la danse. L’archive est incomplète.

Et enfin, une partition, honteusement annoncée « avec théorie »… qui ne contient que ces sempiternelles phrases vagues que j’ai vues dans la presse.

Revue la Musique pour tous 1910 Auguste bosc bal tabarin aéronerre chanteclerette tabarinette
La Musique pour Tous, n°62, 1910.

Juste après la publication de l’article, j’ai commandé, sans espoir, une copie d’un numéro de la revue « La musique pour tous ». Le numéro 62 est en effet consacré « aux grands succès du bal Tabarin et aux nouvelles danses, avec théorie et pour piano seul (…) ». L’Aéronette étant au sommaire, je ne peux pas passer à côté. Mais je n’y crois pas vraiment, vu ma mésaventure avec la partition.

En attendant la livraison du document par la BNF (tout là-bas dure 3 à 4 semaines), je rédige une reconstruction, pleine d’hypothèses et d’arrêts sur image.

4 semaines plus tard, la revue est enfin dans ma boîte mail ! Enfin, presque. Ce que j’ai reçu, c’est le numéro 29. A la place du 62. J’entre une réclamation à la BNF : pas de retour. Je relance la BNF : on me répond qu’ils sont débordés, mais qu’on prendra ma plainte en considération. Bref, 3 semaines de perdues. Enfin, la BNF confirme que c’est une erreur (non, sans blague…) et relance une commande… qui sera prête dans 3 à 4 semaines.

La musique pour tous 1908 la valse de son origine jusqu'à nos jours borel-clerc belle époque
La Musique pour Tous, n°29, 1908.

La clé du mystère de l’Aéronette

J’aurais pu publier ma reconstruction, mais quelque chose me retenait. L’instinct peut-être. La peur de publier quelque chose d’incomplet, sûrement.

Évidemment, vous l’avez vu arriver de loin : le magazine contient une description détaillée inédite de l’Aéronette. Voilà qui devait remettre en question toutes mes belles hypothèses.

Dans cet article, je vais donc proposer une reconstruction de l’Aéronette basée sur la revue « La Musique pour tous ». Là où elle diverge des sources vidéo et journalistiques, je tenterai d’expliquer pourquoi il y a une différence. Enfin, je m’interrogerai sur l’utilité de cette brève description publiée dans les journaux.

Convergences et divergences des sources de l’Aéronette

Vous pensez peut-être qu’avec la description, j’ai crié « Eurêka » dans la baignoire.

Pas du tout. Cette nouvelle source m’a d’abord plongée dans un océan de confusion, en me maintenant la tête sous l’eau. En effet, elle contient seulement deux motifs, et ils ne sont pas raccord du tout avec les autres sources.

Comment les 5 figures annoncées dans la partition sont-elles devenues 2 motifs dans la revue ? Quelles différences y a-t-il entre les sources? Pourquoi ces différences?

Ici, je tente de concilier les sources entre elles, et ce n’est pas une mince affaire! En effet, à première vue, les sources s’opposent. Mais à force de volonté, j’ai formulé quelques hypothèses qui aident à accorder les sources entre elles.

Hypothèse A

La vidéo contient les figures « 3- On vole », « 4- On plane » et « 5- On atterrit ». En effet, on distingue trois figures, dont la dernière est aisément identifiable comme l’atterrissage.

Hypothèse B

Les figures « 2. On est parti » et « 4. On plane » sont en réalité identiques. Qu’est-ce qui nous l’indique?

Les images

Examinons d’abord les sources iconographiques. Les dessins correspondant aux figures 2 et 4 se ressemblent fort. Il me semble que les deux gravures illustrent deux moments distincts d’un même mouvement. Sur « on est parti », le cavalier est en appui sur sa jambe droite, fléchie derrière lui. Sa jambe gauche est pointée en diagonale avant. Son bras gauche est levé, le droit baissé. Sur « on plane », c’est le mouvement directement suivant : le cavalier a pris appui sur sa jambe gauche, le pied droit est toujours au sol mais prêt à décoller. Son bras gauche est baissé, le gauche levé.

Le texte de la partition

La partition indique que la figure 2 dure 16 mesures et la figure 4, 32. Si l’on en croit la partition, seules les 16 premières mesures de la figure 4 figurent sur la vidéo. En effet, une mention indique « (1) Pour le cinéma, coupure de A à B », ce qui supprime de fait 16 mesures. Je suppose donc que la figure 4 est composée de deux parties identiques.

La description succincte qui accompagne la partition ne prend pas la peine de décrire la figure 4, alors qu’elle donne quelques explications pour la figure 2. Cela peut indiquer que les mouvements de la figure 4 ont déjà été indiqués.

Le texte de la revue

Enfin, la description détaillée présente deux motifs dans l’ordre suivant: 1, 2, 1, 2, 1 (à la fin du 2ème motif, « ils se placent dans la position du départ de la danse et reprennent le 1er motif, puis le 2ème, et refont le 1er pour terminer.« ). C’est-à-dire, un motif qui « prend en sandwich ». C’est bien la structure qu’on obtient si les figures 2 et 4 sont identiques.

Cette hypothèse explique pourquoi il n’y a pas de texte dédié pour la quatrième figure (texte commun pour les figures 3 et 4). Elle explique également pourquoi, dans l’article sur l’Aéronette paru dans L’Afrique du Nord illustrée, l’illustration de la quatrième figure est passée à la trappe.

La figure quatre ne serait donc qu’une reprise du mouvement précédent, sur une musique « plus animée » (dixit la partition).

Hypothèse C

La vidéo est en réalité soit une « captation de spectacle », une version spéciale adaptée pour la scène, soit une vidéo de démonstration (un tutoriel quoi, comme sur Youtube).

Dans le second cas, cela expliquerait pourquoi les danseurs sont face au public et côte à côte, alors que le texte indique des danseurs face à face. C’est pour mieux démontrer les mouvements aux apprenants. Cette position est aussi plus agréable à l’œil pour le public, donc l’idée d’une version de spectacle marche aussi.

Lecture des sources de l’Aéronette à la lumière des hypothèses

Aéronette, première figure: le Départ (4+2 mesures)

Texte succinct

1° Le départ. Les danseurs se tiennent comme pour toutes les danses tournantes et font, sur deux mesures très accentuées, des temps de galop en avant imitant ainsi le roulement de l’aéroplane.

Texte long

N/A. Je n’ai pu trouver aucune concordance. Aucun motif ne commence dans la position de « toutes les danses tournantes ». Est-ce important? Après tout, ce n’est qu’une courte introduction. Peut-être manquait-on de place pour le texte sous la partition.

Iconographie

Les illustrations montre des danseurs qui ne se touchent pas. Il se tiennent face à face, bras écartés pour imiter l’avion.

aéronette boston marché valse danse de couple 1900s 1910s 1909 ragtime
Figure 1 « Le départ »
C. Lefort (danse) et A. Bosc (musique), L’Aéronette. Boston marché (…), éd. A. Bosc, Paris, 1909.

Remarque

La description dit « comme pour toutes les danses tournantes ». Les illustrations, quant à elles, montrent des danseurs dans une position différente. Il s’agit de la position que l’on prend à la fin de la figure, en préparation de la suivante.

On est parti (2) et On plane (4) en Aéronette

Comme indiqué plus haut, je traiterai ensemble ces deux figures.

Texte succinct de la figure 2

2° On est parti. « L’aéroplane se met en vol ». Les danseurs à ce moment ont un mouvement des bras de bas en haut imitant ainsi le vol d’un oiseau, ils font ensuite quelques petits pas marchés. (pas de texte pour la figure 4)

Texte long, premier motif

Position de départ : Le cavalier, placé derrière sa dame lui donne main droite à main droite et main gauche à main gauche, bras tendus, tous deux face à la direction à suivre.

Tous les couples sont donc placés les uns derrière les autres et se suivent autour du salon.

Premier motif : Dame et cavalier glissent le pied droit à droite, rapprochent le pied gauche du droit s’élevant sur les pointes avec un léger mouvement de bras en l’air, retombent ensuite sur les talons (1ère mesure)

Même mouvement partant du pied gauche (2ème mesure)

Le cavalier fait passer sa dame sous son bras droit, il se place le dos au centre du salon et ayant sa dame face à lui, lui soutient dans sa main gauche la main droite et dans sa main droite la gauche (2 mesures)

Répéter les 2 première mesures, mais cavalier partant pied gauche et dame pied droit (2 mesures)

Le cavalier enlace sa dame et fait avec elle un demi-tour de valse ; il s’arrête, quittant sa dame qui termine le tour de valse ; faisant pas conséquent un autre demi-tour, elle se retrouve placée devant son cavalier le dos tourné à celui-ci, comme à la position du départ (2 mesures).

Reprendre le tout encore une fois, mais à la fin de la 2ème fois le cavalier au lieu de ne faire qu’un demi-tour de valse exécute avec celle-ci un tour entier, restant face à sa dame, lui soutenant dans sa main gauche, la main droite, et dans main droite, la gauche, bras tendus – le cavalier est placé le dos au centre ayant sa dame face à lui. Dans cette position, la dame va exécuter les mêmes pas que le cavalier en partant du pied opposé (8 mesures).

Vidéo de la figure 4

Disponible ici, entre la 20ème et la 33ème seconde.

  • Pointer le pied (D de la dame, G du cavalier), puis poser ce pied. Cela quatre fois. Le cavalier se déplace en arrière, suivi de sa partenaire.
  • 4 pas de valses tournante (2 tours)

Reprendre cette figure une fois. A la fin de la deuxième reprise, reprendre la position de départ.

Quand on compare le texte décrivant la figure 2 et la vidéo de la figure 4, on s’aperçoit qu’ils correspondent parfaitement. On voit bien sur la vidéo les petits pas marchés et le mouvement des bras imitant l’oiseau.

Remarque: Les sources s’accordent sur des pas marchés avec un mouvement de bras pour imiter l’avion. Ensuite, de la valse tournante, omise dans la partition.

Deux points de discorde cependant. Tout d’abord, la position des danseurs. Sont-ils face à face, comme sur la vidéo et la partition? Ou sont-ils l’un derrière l’autre, comme dans la revue? Difficile de trancher.

Ensuite, a-t-on 4 pas marchés et 2 tours de valse, comme dans la partition, ou 2 marchés, 2 valsés, 2 marchés, 2 valsés comme dans la revue? Le mystère reste entier.

On vole (3) – 32 mesures

Texte succinct de la figure 3

3° On vole et 4° On plane. « L’aéroplane est en l’air » : pas très glissés en balançant légèrement les bras, imitant ainsi l’aéroplane cherchant à trouver son aplomb, ce mouvement se continue plusieurs fois.

Texte long, 2ème motif

Deuxième motif : Cavalier : glisser le pied gauche à gauche, rapprocher le droit et rester 1 temps (1ère mesure) glisser le pied gauche à gauche, croiser le droit derrière en penchant bien le corps et les bras de ce côté (2ème mesure), recommencer le même pas en sens inverse (2 mesures), faire ensuite 2 tours de valse ou de boston – répéter ces 8 mesures encore 3 fois. A la dernière mesure de la 4ème fois le cavalier ne fait rien, la dame au contraire continue toujours la valse, fait un demi-tour en plus de celui-ci, lui tourne par conséquent le dos et se trouve devant lui ; ils se placent dans la position du départ de la danse et reprennent le 1er motif, puis le 2ème, et refont le 1er pour terminer.

Vidéo

Disponible ici, entre la 4ème et la 20ème seconde.

Partenaires côte à côte, bras écartés sur les côtés, sans contact entre eux, dame à droite de son cavalier. La dame démarre pied droit, l’homme pied gauche.

  • 1 pas de valse en s’écartant
  • 1 pas de valse en se rapprochant
  • 2 pas de valse pour faire 1 ½ tour sur l’épaule extérieure
  • 1 pas de valse en se rapprochant
  • 1 pas de valse en s’écartant
  • 2 pas de valse pour tourner sur l’épaule intérieure tout en changeant de place. La dame passe devant son cavalier.

Reprendre cette figure une fois. A la fin de la deuxième reprise, finir face à son partenaire, le tenir par les deux mains, écartées sur les côtés.

Iconographie

aéronette boston valse auguste bosc charles-paul lefort danse de la belle époque
Figure 3 « On vole », in C. Lefort (danse) et A. Bosc (musique), L’Aéronette. Boston marché (…), éd. A. Bosc, Paris, 1909.

Remarque

Les points d’attention sont les mêmes que pour la figure précédente. Toutes les sources sont d’accord sur une structure « balance, balance, tour ». Le tour se fait seul dans la vidéo, en couple dans le texte long.

A nouveau, on se demande si les danseurs sont face à face (texte long) ou côte à côté (partition, vidéo). Et encore une fois, on ne sait si les mouvements sont simples (1 pas, 1 pas, 2 valse tournante) ou doubles (2 pas, 2 pas, 4 valse tournante).

On atterrit (5) – 8 mesures

Texte succinct

5° On atterrit. Pour terminer, « descente de l’aéroplane », imitée par les danseurs se jetant vivement d’un pied sur l’autre, en inclinant la tête légèrement en avant.

Texte long

N/A. Le texte n’indique rien après le second motif.

Vidéo

Disponible ici, entre la 33ème et la 51ème seconde.

Les partenaires sont côte à côte, la dame à droite du cavalier. Tous les deux ont les bras écartés sur les côtés. La dame commence du pied D, le cavalier pied G.

  • 4 simples, glissés, sur place, en s’écartant et en se rapprochant
  • 4 pas simples, glissés, en avant

Reprendre cette figure une fois.

  • Se balancer sur le pied arrière, en se penchant en arrière.
  • Se balancer sur le pied avant, en se penchant en avant

Iconographie

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Figure 5 « On atterrit », in C. Lefort (danse) et A. Bosc (musique), L’Aéronette. Boston marché (…), éd. A. Bosc, Paris, 1909.

Remarque

Vous constatez évidemment une incohérence entre la vidéo et l’iconographie. Comment l’expliquer? Le texte de la description, fort sommaire, ne nous aide pas.

D’après moi, la dernière figure se danse avec les mêmes pas que dans la vidéo, mais avec les danseurs face à face. Ceci est cohérent avec les précédentes remarques.

Pendant les quatre première mesures, les partenaire se tiennent face à face (les bras « en aile d’avion). Ensuite, les danseurs font face à la ligne de danse pour avancer 4 pas, en position ouverte. Ils reprennent ce mouvement une fois, puis restent face à la ligne de danse pour le final (balancés arrière et avant).

Conclusions

La remarque la plus importante concerne la position des danseurs. Je choisis de placer les danseurs face à face, simplement parce que c’est le plus courant. Cette position plus compacte est plus appropriée à un dispositif de bal: on risque moins de percuter un autre couple. Les danseurs occupant moins de place, plus de couples peuvent participer à la danse.

Ensuite vient la question de la durée des figures. Le texte propose systématiquement une version répétée là où la vidéo montre une version « courte ». Par exemple, pour les 8 première mesures de la figure « on plane »:

  • Vidéo: 4 pas balancés, 2 tours de valse
  • Texte long: 2 pas balancés, 1 tour de valse, le tout 2 fois.

A la lecture rythmique de la partition, je penche pour la seconde option. Voyez comme les ensembles « croche blanche » collent parfaitement aux pas balancés, tandis que les groupes de notes plus rapides accompagnent la valse.

Partition Chorégraphie
Balancés droite et gauche
Tour de valse
Balancé vers et contre ligne de danse
Tour de valse

Au terme de cette longue démonstration, j’ai tous les élément pour reconstruire l’Aéronette. La reconstruction n’est plus qu’à un click de souris!

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