Petites histoires

Que dansait-on dans les 13 colonies?

Que dansait-on, dans les 13 colonies d’Amérique du Nord, à la fin du 18ème siècle?

1776: les treize colonies britannique d’Amérique du Nord ratifient leur Déclaration d’Indépendance. L’histoire est bien connue, mais que dansaient les colons américains? D’ailleurs, dansaient-ils encore, alors que la Grande-Bretagne leur faisait la guerre?

Dans cette série d’articles, je me penche en détail sur le rôle de la danse dans la société des 13 colonies, les futurs États-Unis d’Amérique, au moment de leur indépendance. Voici le programme:

  • Le présent article vous éclaire sur le contexte historique et géo-politique des 13 colonies et sur le répertoire de danses pratiqué.
  • Dans un second article, vous découvrirez comment l’apprentissage et la pratique de la danse se déroulent précisément.
  • Et enfin, le dernier article de la série explorera le rôle politique de la danse, et l’importance des bals dans la vie politique américaine.

Commençons sans plus attendre!

Les États-Unis: un territoire morcelé

Les expressions « 13 colonies » et « États-Unis d’Amérique » désignent la côte Est de l’Amérique du Nord comme une entité monolithique, un groupe uni. Or, dès que l’on se penche sur les sources, une réalité bien différente se dessine.

Inutile de revenir sur chaque colonie en détail. Cependant, je donne un peu de contexte utile à la compréhension. Les historiens distinguent en général trois groupes de colonies:

Les colonies du Sud (Maryland, Virginie, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Géorgie)

13 colonies: le Sud
Les colonies du « Sud »

L’histoire du Sud commence en 1607. Une charte royale autorise alors des nobles anglais à créer une colonie. Il s’agit de la ville de Jamestown, dans ce qui deviendra la Virginie. Par la suite, d’autres chartes royales permettront l’extension des colonies vers le Sud.

Les nobles anglais constituent le gros de la population des colonies du Sud. L’aristocratie a la mainmise sur le pouvoir judiciaire et exécutif – comme en métropole. On trouve également de petits groupes d’Écossais, d’Irlandais et d’Allemands. Les esclaves africains complètent le tableau. Officiellement, les colonies du Sud sont anglicanes, plutôt modérées.

L’économie repose sur l’agriculture (riz, indigo, tabac…). De petites fermes, cultivées en propre par leur propriétaire, cohabitent avec de grands domaines, qui exploitent la terre et les esclaves.

La Nouvelle-Angleterre (Massachusetts, New Hampshire, Connecticut, Rhode Island)

13 colonies: le Nord
Les colonies du « Nord » ou Nouvelle-Angleterre

C’est en 1620 que naît la Nouvelle-Angleterre. Vous connaissez certainement l’histoire du Mayflower. Ce bateau quitte Plymouth, en Angleterre, pour aller fonder Plymouth dans le Massachusetts. Ça fait quand même beaucoup de route pour rester à Plymouth.

Dans les colonies du Nord, la population est principalement puritaine. Le puritanisme encourage chacun à lire les textes sacrés directement, sans intermédiaire. Pour cela, il faut savoir lire. Les Puritains joignent le geste à la parole en fondant le premier système scolaire d’Amérique du Nord. Ils créent d’ailleurs l’université de Harvard en 1636.

En lisant les Écritures, chacun peut se faire sa propre idée… qui ne correspond pas toujours aux idées de la majorité. Ainsi, des colons qui recherchent plus de rigueur religieuse vont créer le Connecticut. D’autres, souhaitent plus de liberté : ils créent le Rhode Island.

Rigoureuses ou plus laxiste, les colonies de Nouvelle-Angleterre ont le même type d’économie. Elle repose surtout sur l’exploitation de la forêt : chasse, fourrure, bois de charpente. Ce dernier élément tombe à pic car l’Angleterre connaît au même moment une importante pénurie de bois de charpente.

Le bois de charpente est une ressource primordiale pour l’Angleterre, qui entend conserver la suprématie de sa marine. On crée en Nouvelle-Angleterre plusieurs chantiers navals – une pré-industrie très dynamique.

Les colonies du « Milieu » (New York, Pennsylvanie, New Jersey, Delaware)

13 colonies: le milieu
Les colonies du « Milieu »

Entre la Nouvelle-Angleterre et le Sud, se trouve une région à l’histoire houleuse. Elle devient au 16ème et 17ème siècle le théâtre d’une compétition coloniale acharnée. Les Provinces-Unies, la Suède, la France et l’Angleterre se disputent la région. Dans un premier temps, les Provinces-Unies prennent le dessus et fondent la Nouvelle-Néérlande. Mais en 1664, les Anglais mettent la main sur ce territoire. Ils le renomment New York et New Jersey.

Peu importe la couleur du drapeau sur la maison du gouverneur, les colons déjà présents restent sur place. Ils forment une population multiculturelle : Hollandais, « belges », Huguenots français, Scandinaves, Allemands… et bien sûr des colons des îles britanniques.

Soulignons la liberté religieuse garantie par la loi dans les colonies « du Milieu ». Cette tolérance dénote par rapport aux colonies du Sud et du Nord.

L’économie du Milieu se trouve à mi-chemin entre Nord et Sud. Les colonies du milieu ont une production agricole importante (notamment du blé), et produisent également du bois de charpente.

Les 13 colonies ont en commun leur position géographique, et leur allégeance (pour un temps encore) à la Couronne britannique. Pour le reste, elles sont très différentes. Et cela se ressent aussi au niveau de la danse.

Que danse-t-on ? Le répertoire dansé dans les 13 colonies

Les danses des Premières Nations

Commençons par les danses pratiquées par le plus grand nombre, en Amérique du Nord au 18ème siècle. J’ai nommé : les danse des Première Nations.

Nous n’avons pas conservé de source créée par les Premières Nations concernant la danse. Aussi, chaque nation a ses propres traditions. A titre d’exemple,  voici une descriptions des danses des Natchez (dans l’actuelle Louisiane).

A la grande clarté [des torches] (…), on danse ordinairement jusqu’au jour. Les danses sont toujours les mêmes, et qui en a vu une les a vu toutes. Voici quelle en est la disposition. Au milieu de l’espace vuide et proportionné au nombre de ceux qui doivent danser, un homme s’assied par terre (…). Il tient ce pot d’une main, et de l’autre il bat la mesure. Autour de lui les femmes se rangent en cercle, éloignées les unes des autres, et ayant leurs mains dans un rond de plumes fort étroit qu’elles tournent en dansant de gauche à droite. Les hommes enferment les femmes dans un autre cercle qu’ils forment à quelque distance d’elles, ils ne se tiennent point par la main mais ils laissent entre eux un espace quelquefois de six pieds. (…). Comme les femmes tournent de gauche à droite, les hommes tournent de droite à gauche, et tous suivent la mesure avec une justesse qui a de quoi surprendre. Les intervalles que les uns et les autres laissent entr’eux leur donne (sic) la commodité de sortir de la danse lorsqu’ils sont fatigués et d’y rentrer sans y causer aucun trouble: les cercles se rétrécissent et s’élargissent selon le besoin, toujours en gardant la mesure, et les danseurs pouvant se reposer et être remplacés par d’autres (…) leurs danses durent ordinairement toute la nuit.

Antoine-Simon Le Page du Pratz, Mémoire sur la Louisiane (1751-1753), 3 vol., 1758, vol 1, p. 376-377.
Danses des premières nations, amérindiennes, Louisiane
Antoine-Simon Le Page du Pratz, Mémoire sur la Louisiane (1751-1753), 3 vol., 1758, vol 1, p. 376-377.

Ce que les colons ont vu de la danse amérindienne leur a semblé très étrange et primitif, il n’y a donc pas eu d’échange de danse entre les groupes. Ajoutons que les échanges entres les colons et les Premières Nations se limitaient au commerce, à la diplomatie et aux conflits armés. Pas les bases idéales pour une rencontre chorégraphique.

Les danses des esclaves et des communauté noires

Les esclaves déracinés d’Afrique ont emmené avec eux leurs traditions de chants et de danses. Ils ont continué à faire vivre cette culture en Amérique. Dans le Sud, Noirs et Blancs sont strictement séparés. Mais on a un exemple d’échange entre les cultures des colons et des Noirs en Nouvelle-Amsterdam. C’est-à-dire à New York avant l’arrivée des Anglais.

On sait que lors des fêtes religieuses de la Nouvelle-Amsterdam, les familles hollandaises et noires dansaient ensemble dans les rues. Des violons à trois cordes et des tambours construit à partir de pot à anguille couverts de peau de mouton assuraient l’animation musicale.

Agostino Brunias, Scène de danse dans les Indes occidentales, c.1764-1796.
Agostino Brunias, Scène de danse dans les Indes occidentales, c.1764-1796.

Cette tradition, bien ancrée, a horrifié les Anglais lorsqu’ils ont pris possession de la colonie néerlandaise. Ils ont alors découragé toute forme de danse interraciale. Les Noirs ont développé, en parallèle de celui des colons, un style de danse propre. Ce style allait profondément influencer la danse de société occidentale à partir de la fin du 19ème siècle. Mais nous n’en sommes pas encore là.

Et maintenant, quand, enfin, vous n’y tenez plus, voici les danses des colons européens.

Le menuet

Les bals aristocratiques s’ouvraient traditionnellement par un menuet.

Cette danse de couple, guindée et complexe, est née à la cour du roi Soleil. Elle exprime parfaitement l’esprit de la noblesse. En effet, un seul couple danse à la fois, sous le regard inquisiteur (et les commentaires) de l’assemblée. Les couples se produisent par ordre de pré-séance, du plus haut rang social au moins élevé. Chacun sait donc exactement où ils se situe sur l’échelle sociale et par rapport aux autres danseurs.

Antoni Casanovas Torrents, Menuet, vers 1780.
Antoni Casanovas Torrents, Menuet, vers 1780.

L’allemande

L’allemande est également une danse de couple. Beaucoup plus simple dans ses pas, elle fait intervenir différentes « passes » de bras, un peu à la façon d’un rock’n roll. Originaire d’Allemagne, c’est néanmoins Paris qui lui donne ses lettres de noblesse. C’est pourquoi son nom reste « allemande » en anglais.

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8e passe d’Allemande, de Dubois, dans A. Riou, Y. Vart et al., Principes d’Allemande de Mr Dubois (…), Lyon, 1991.
8e passe d’Allemande, de Dubois, dans A. Riou, Y. Vart et al., Principes d’Allemande de Mr Dubois (…), Lyon, 1991.

En Amérique, l’allemande ouvre parfois le bal à la place du menuet.

La contredanse à la française

Dernière nouveauté arrivée de Paris dans les années 1770, la contredanse à la française ou cotillon. Quatre couples disposés en carré dessinent des figures parfois complexes. La contredanse est une alternance de refrains et de figures. Le refrain est typique à une chorégraphie. Les figures en revanche, se retrouvent d’une danse à l’autre, dans le même ordre. Ces figures sont appelées entrées, syncope, ou change. Leur nombre varie en général entre 5 et 14.

La country dance ou contra

La country dance, ou contredanse en colonne, vient d’Angleterre. Elle peut accueillir un nombre illimité de couple. La colonne repose sur l’idée de progression : les couples se déplacent dans la colonne, vers le haut ou vers le bas. A la fin du 18ème siècle, les colonnes sont principalement en triple minor set : trois couples interagissent ensemble.

The Village Assembly, caricature vers 1776.
The Village Assembly, caricature vers 1776.

Le reel

L’Écosse exporte non seulement ses ressortissants, mais aussi ses danses. La plus emblématique est le reel. Trois ou quatre danseurs vont alterner des passages « solo », avec des pas complexes, et le « reel » proprement dit, où les danseurs s’entrecroisent sur une trajectoire rappelant un 8.

Conclusion: les 13 colonies et la danse

Chacune des 13 colonies est unique. Elles se distinguent par leur peuplement, leur religion, leur système politique et économique. Néanmoins, les danses pratiquées sont les mêmes partout.

Les colons négligent complètement les danses des Premières Nations et des esclaves, populations pourtant géographiquement proches d’eux. Les colons se prennent de passion pour les danses originaires de la métropole britannique (country dance, reel, hornpipe) et surtout pour les danses françaises (cotillon, menuet, allemande). Ces mêmes danses connaissent à l’époque un grands succès au niveau européen.

Maintenant que l’on sait ce que les colons dansaient, intéressons-nous à la pratique de la danse. A moins que vous ne préfériez passer directement au rôle politique de la danse.

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