Apprendre et pratiquer la danse, avant la naissance des États-Unis
1770, un mariage dans un petit village de Caroline du Nord: on organise un bal, bien sûr! De tout temps, la danse a fait partie intégrante des célébrations familiales et sociales. Les 13 colonies d’Amérique du Nord ne font pas exception. Mais…
Comment les colons britanniques apprenaient-ils à danser à la fin du 18ème siècle?
Quelles occasions avaient-ils de danser?
Comment organisaient-ils un bal à l’époque?
Dans cette série d’articles consacrés à la danse dans les 13 colonies, je m’attache à répondre à ces questions (et bien d’autres!). Ici, on s’intéresse au côté pratico-pratique de la danse. Parce que c’est bien beau de savoir ce que l’on danse, encore faut-il savoir comment et quand on danse. Ensuite, on s’intéressera au message politique qui passe par la danse.
Apprendre à danser
Des leçons dès le plus jeune âge
La danse fait partie du cursus standard dans l’aristocratie, au même titre de les maths ou la lecture. On considérait qu’apprendre le menuet était aussi important que de monter à cheval. Imaginez ! C’est comme si aujourd’hui, danser le slow à un bal était aussi important que d’apprendre à conduire.
La danse a de l’importance aux yeux de l’aristocratie car elle divise. Les gens qui ont eu le temps et l’argent pour apprendre la révérence, le menuet, les bonnes manières… se distinguent ainsi du commun des mortels.
Dans l’aristocratie, l’apprentissage de la danse commence jeune, vers 5 ans. Dans les campagnes, on accueille un maître à danser itinérant pendant quelques semaines. Le maître enseigne tous les jours aux enfants de la maison, à leur amis, famille et voisins. Les cours ont donc lieu à domicile.
On n’hésite pas à mobiliser tous les occupants de la maison pour compléter un set ou un quadrille : les parents, les domestiques et même les esclaves sont mis à contribution !
Après un temps, le maître à danser part dans une autre maison. Il reviendra périodiquement, pour surveiller les progrès des élèves.
Dans les grandes villes, certains maîtres à danser se fixent et ouvrent des écoles de danse. Ce sont alors les élèves qui se rendent au professeur, pour des leçons hebdomadaires. Ce phénomène de « sédentarisation » des maîtres à danser se généralise dans les grandes villes après la Révolution américaine.
Des leçons pour adultes
Remarquez que le maître de danse enseigne la danse aux enfants, mais aussi aux adultes. La demande de cours pour adultes augmente considérablement à la fin du 18ème siècle.
En effet, grâce à la mobilité sociale, de nombreuses personnes accèdent à des classes sociales plus aisées. Elles n’ont pas pu se former aux codes de conduites aristocratiques pendant leur jeunesse, ce qui leur ferme bien des portes. Les « nouveaux riches », adultes, approchent donc les maîtres à danser, trop heureux d’élargir leur clientèle (j’y reviendrai).
Ces élèves d’un nouveau genre font le bonheur des caricaturistes de l’époque – et des autres élèves: regardez à droite, les messes basses qu’on se fait!
Les occasions de danser
Les « soirées en famille »
Une fois que l’on sait danser, il faut pratiquer. L’occasion de danser la plus courante est la soirée en famille. Je reprends ce titre d’une série d’ouvrages de Collinet (publiée entre 1810 et 1825). Cette expression d’époque désigne bien l’opportunité de danser la plus courante à la fin du 18ème siècle.
Aujourd’hui, cette expression nous évoque plutôt un film à la télévision, un jeu de société ou une lecture au coin du feu. A l’époque, il n’est pas rare que la sœur aînée s’asseye au piano ou que le père sorte son violon, et joue quelques contredanses pour le reste de la famille.
Ces soirées en famille sont plutôt courtes : il ne s’agit que d’occuper le temps entre le souper et le coucher. La compagnie est toujours la même: les occupants de la maison, éventuellement quelques visiteurs. Et le répertoire est peu varié: on doit s’en tenir à ce que le musicien familial peut jouer.
On assiste notamment à ce genre de scène dans les romans de Jane Austen.
Le bal privé
Une opportunité de danser un peu plus amusante – mais moins courante, c’est le bal privé.
Les familles aisées participent à une véritable saison des bals, en général en hiver.
Chaque maison organise son bal à tour de rôle. La musique est assurée par un petit ensemble, un quatuor par exemple. Les bals commencent vers 18h et ne finissent qu’à l’aube. Un repas assis est servi entre 22h et minuit. C’est l’occasion rêvée de revoir ses amis et ses voisins… ou même des visiteurs de passage.
Des bals privés sont aussi organisés dans le cadre de fiançailles, mariages, naissances, etc.
Le bal public : les Assemblies
J’ai déjà un peu parlé des Assemblies. C’est une association qui a pour but d’organiser des événements sociaux : conférences, concerts, jeux de société, et bien sûr, bals. On pourrait presque parler d’un comité des fêtes.
Les membres s’acquittent d’une contribution qui leur permet d’assister aux événements de la saison. L’organisation d’un bal peut y être mensuelle, ou annuelle.
L’Assembly du coin représente un lieu de sociabilité unique en son genre. En effet, à l’époque, la majorité des loisirs prennent place à domicile, dans le cadre privé. L’Assembly est un lieu public où les femmes et les hommes peuvent se rencontrer de façon respectable. C’est LE lieu par excellence où se rencontrent les célibataires pourvus d’une belle fortune.
Les Assemblies existent dans toutes les villes. Leurs règlements, parfois très précis, offrent des renseignements précieux aux historiens. Dans les grandes villes, les Assemblies ont un lieu dédié à leurs activités, avec une grande salle, et des salles annexes plus petites pour le thé, les repas et les jeux de cartes. En province, les réunions des Assemblies se déroulent plutôt dans la meilleure auberge.
D’autres bals publics… le bal occasionnel
Il arrive également que les villes ou les institutions publique organisent des bals pour des occasions spéciales. La tradition d’un bal inaugural lors de l’élection du président n’existe pas encore.
En Angleterre, on commémorait régulièrement l’anniversaire du souverain. Après leur indépendance, en l’absence de souverain, les USA se tournent vers la figure la plus proche: George Washington. Les villes organisent régulièrement des bals public pour célébrer le 22 février. Et ça tombe bien, février était déjà le mois des bals par excellence.
Les jeunes USA continuent donc une tradition anglaise séculaire.
Le rôle du maître à danser
Le maître à danser, ou maître de cérémonie, tient un rôle primordial.
Tout d’abord, on en a parlé, il enseigne la danse aux enfants et aux adultes. Mais c’est pendant les bals que son rôle revêt une importance capitale.
Sa mission : vérifier l’identité et le rang social de chaque personne présente. Sur base de ces informations, il désigne les partenaires et l’ordre de pré-séance des couples pour le menuet.
Cette mission peut vous sembler futile. Mais dans une société où on prend le rang social très au sérieux, on ne peut se permettre de faire une erreur dans l’ordre de pré-séance. Qui voudrait « s’abaisser » à danser avec n’importe qui ? De plus, la danse permet souvent de former des mariages. Il vaut donc mieux préserver sa réputation.
Les maîtres à danser sont surtout présents dans les villes, et dans les grands domaines fonciers. Dans les campagnes, on trouve quelques violoneux qui vont jouer et annoncer les figures de danse en même temps. Souvent, le maître a danser exerce une seconde activité professionnelle (luthier, musiciens, cabaretier, ou même paveur de rue).
Après la Révolution Française, de nombreux maîtres français arrivent aux États-Unis. Leur clientèle habituelle, noble n’est plus tellement la tête à la danse. Cet afflux de professionnels de la danse va entraîner un double mouvement, à cause de la concurrence accrue entre les maîtres.
D’une part, le métier se professionnalise. Dorénavant, les maîtres de danse seront uniquement maîtres de danse. D’autre part, certains maîtres se dirigent vers des villes plus petites, voire vers la campagne, en quête d’une nouvelle clientèle. De fait, les nouveautés chorégraphiques se répandent plus vite vers l’Ouest du pays.
Danser en temps de guerre
Après la signature de la Déclaration d’Indépendance en 1776, les conflits avec l’Angleterre se multiplient et s’éternisent. La guerre de 1812 (terminée en 1815) marque la fin définitive des prétentions britannique sur ses anciennes 13 colonies. Entre 1776 et 1815, les guerres se suivent et se ressemblent.
Comment les guerres influencent-elles la danse ?
En réalité, très peu. De nombreux bals sont organisés dans le New Jersey, où se concentrent les combats. Les officiers des deux camps se rendent très régulièrement au bal (pas les mêmes bals, bien entendu).
Ils vont aussi souvent au théâtre. Sachez que les représentations théâtrales de l’époque sont non seulement une pièce de théâtre, mais aussi des intermèdes musicaux et un bal à la fin.
Conclusion
La société américaine est fort attachée à la danse. Elle fait partie de l’éducation standard de la bonne société. C’est une qualité recherchée: c’est par le truchement de la danse (en particulier le menuet) que les mariages se forment.
Mais au-delà de sa fonction matrimoniale, la danse occupe une fonction socialisante et divertissante. Partout, les occasion de danser se multiplient, chacun cherche à danser souvent. Vous ne vous étonnerez donc pas que des débats politiques se cristallisent autour de la danse.
Des débats politiques? Pour en savoir plus, rendez-vous à l’article suivant.