L’Aéronette, une valse virevoltante! – Partie 1
Introduction
L’Aéronette, nouveauté de l’année 1909, a inspiré des sentiments divers à ceux qui l’ont vue danser. Par exemple ce charmant poème:
La danse nouvelle,
Mademoiselle,
La danse qui vous aguiche,
Ce n’est plus la matchiche :
C’est l’aéronette !
« L’aéronette », par Ascanio, L’Appel au Peuple de la Charente : organe de la République plébiscitaire, 10 octobre 1909, p.1.
L’actualité inspire régulièrement la danse de société. Ainsi, Boizot crée le Quadrille de la Paix en l’honneur de l’alliance franco-sarde (1859). L’actualité mondaine se fait également muse pour les chorégraphes : regardez les nombreuses coronation waltzes commémorant les couronnements des monarques britanniques.
Cette fois, c’est l’actualité sportive (devrais-je dire scientifique ? mécanique ?) qui inspire un boston marché : l’Aéronette. Cette danse bénéficie d’un battage médiatique très important lors de son lancement, en 1909.
Cet article est dédié à mes amis normands, Sandra et Jean-Pierre.
Many thanks to Birte Hoffmann-Cabenda for locating some exciting German source!
Le succès de l’Aéronette
Le sujet
Comment le chorégraphe Lefort et le compositeur Bosc assurent-ils un maximum de visibilité (et donc, de succès) à leur création ?
Pour commencer, notons qu’Auguste Bosc n’est pas un parfait inconnu. Le compositeur montpelliérain (1868 – 1945) a notamment composé la célèbre « Marche des petits pierrots ». Bosc fait ses armes en dirigeant l’orchestre du Moulin de la Galette. Il crée ensuite son propre établissement, le Bal Tabarin (1904).
Bosc et Lefort choisissent un sujet brûlant dans l’actualité de 1909 : l’aviation.
Depuis la fin du XIXe siècle, on assiste à une véritable course à l’innovation dans le domaine de l’aéronautique : dois-je citer Otto Lilienthal, Orville et Wilbur Wright, Clément Ader, etc.
Mais en 1909, les événements aéronautiques se bousculent.
Le 25 juillet, Louis Blériot traverse la Manche à bord de son Blériot XI. Le mois suivant, Reims accueille le tout premier meeting aérien. C’est également en 1909 que Blériot et les frères Wright ouvrent leurs écoles d’aviation respectives.
L’aviation est donc un sujet porteur pour une nouvelle danse de salon, se disent Lefort et Bosc.
Leur idée fera beaucoup d’émules : nombres de danses seront publiées autour de cette thématique, tant en France qu’à l’étranger. Notons deux Aéroplanettes (Séréni, Follitt, toutes les deux de 1910), le Pas des Aviateurs (Giraudet et Jouve, 1911), l’Aeroplane Glide (Sheafe, 1913), et trois Aeroplane Waltzes (Newman, Clendenen, Swayer, toutes les trois en 1914).
Et quand ce n’est pas une danse complète c’est une variation de One-step, Tango ou Maxixe qui rend hommage au sport aéronautique.
Le congrès des maîtres de danse
Le chorégraphe Charles-Paul Lefort propose son Aéronette au Congrès des maîtres de danse de Paris de 1909. Le congrès l’approuve avec enthousiasme, nous disent plusieurs articles. Ce n’est pas n’importe quel congrès : il est organisé par l’Académie des maîtres de danse de Paris (AMDP de son petit nom).
L’approbation par un congrès, voilà un gage de qualité pour une danse !
Malheureusement, c’est le moment d’appliquer une bonne dose d’esprit critique à cette information. Et de « débunker » tout cela !
L’AMDP a été créée en 1904 par un certain Charles-Paul Lefort… le même qui propose au congrès l’Aéronette 5 ans plus tard !
Le président-fondateur de l’Académie reste aux commandes jusqu’à son décès, à Verdun, le 27 novembre 1917. Après sa disparition, c’est son épouse G.-C. qui reprend le flambeau. Elle publiera « Les danses à la mode. Théories illustrées, Edition nouvelle, Paris, 1922 », « L’art de la danse » et « La danse de la valse au fox-trot ».
Pour revenir à Charles-Paul, on connaît d’autres de ses créations, elles aussi approuvées par le congrès : Five-step, Chanteclerette…
Je suspecte naturellement une dose d’auto-promotion de la part du Président-fondateur.
La couverture médiatique autour de l’Aéronette
Auto-promotion ou pas, cette stratégie paie. A l’automne 1909, des dizaines d’articles annoncent la nomination de l’Aéronette par le congrès.
Il semble que les journaux aient reçu une description de la danse, reproduite à l’identique pour publication. Au communiqué de presse, s’ajoutent parfois les commentaires du journaliste, tantôt enthousiastes, tantôt railleurs. Mais comme on dit, il n’y a pas de mauvaise publicité.
La valse, dit-on, rapproche les couples du ciel, sans qu’ils quittent la terre… L’ « Aéronette » aussi, et c’est, peut-être, un avantage qu’elle a sur l’aéroplane ?
Le Matin, 19 novembre 1909, p.2 « L’ ‘Aéronette’ » par J.L.
Un article en particulier a retenu mon attention, car il combine la description, la partition musicale et les gravures d’illustration. C’est « Une Danse Nouvelle : l’aéronette », dans les Annales politiques et littéraires, 7 novembre 1909, n°1376, p.435. C’est une sorte de version condensée de la partition.
Le communiqué de presse fait son chemin au-delà de la presse parisienne. On trouve des articles dans la presse régionale (Saintes, Brest, Pau) et même coloniale (Oran). L’Aéronette se moque des frontières : on en parle en Belgique, et jusqu’aux Etats-Unis ! Le maître de danse Rudolph Knoll, d’Hambourg, a même publié une traduction allemande de la danse, sous le doux nom de Flugzeug-Walzer (Valse de l’Avion).
L’Aéronette atterrit même au cinéma, dans un film d’actualité.
Les sources pour l’Aéronette
Une fois n’est pas coutume, il existe nombre de sources pour la danse Aéronette.
La partition
A commencer, bien sûr, par la partition. Celle-ci n’est pas disponible en ligne, mais j’ai pu y accéder grâce aux services de numérisation de la BNF. Pour une somme modique, et moyennant quelques semaines d’attente, la version numérisée de la partition s’est retrouvée dans ma boîte mail.
Imaginez mon impatience à faire défiler les pages sur mon écran !
Imaginez ma déception lorsque j’ai découvert qu’aucune description de la danse n’accompagnait la partition. Ceci, malgré la mention « théorie de C. Lefort » sur la couverture.
Je me suis sentie si dépitée que j’ai complètement arrêté d’écrire pendant plusieurs jours. Quand je suis enfin revenue à cette partition, j’ai décidé d’en tirer le meilleur parti.
D’accord, il n’y a pas de description. Mais la couverture contient une iconographie intéressante : cinq dessins, illustrant les cinq figures de la danse. Grâce à la partition, je sais également le nombre de mesures allouées à chacune de ces figures.
Enfin, une intrigante mention indique que « pour le cinéma », on coupe les 16 dernières mesures de la figure « on plane ». J’y reviendrai.
C’est l’heure de la remarque drôle, mais inutile de l’article. La partition est dédiée à l’épouse du chorégraphe : « à Madame C. Lefort. Hommage sympathique du Compositeur ». Pas très romantique ce Lefort !
Les articles de presse
Puisque la partition ne révèle pas les pas de danse, je me repose sur les articles de presse. Le texte étant repris quasiment à l’identique d’un journal à l’autre, je partirai du principe qu’il s’agit de la description originale par Lefort.
1° Le départ. Les danseurs se tiennent comme pour toutes les danses tournantes et font, sur deux mesures très accentuées, des temps de galop en avant imitant ainsi le roulement de l’aéroplane.
2° On est parti. « L’aéroplane se met en vol ». Les danseurs à ce moment ont un mouvement des bras de bas en haut imitant ainsi le vol d’un oiseau, ils font ensuite quelques petits pas marchés.
3° On vole et 4° On plane. « L’aéroplane est en l’air » : pas très glissés en balançant légèrement les bras, imitant ainsi l’aéroplane cherchant à trouver son aplomb, ce mouvement se continue plusieurs fois.
5° On atterrit. Pour terminer, « descente de l’aéroplane », imitée par les danseurs se jetant vivement d’un pied sur l’autre, en inclinant la tête légèrement en avant.
Les photos de presse
Aux gravures de la partition, il faut ajouter quatre photographies parues dans L’Afrique du Nord illustrée, le 4 décembre 1909, p.11.
La première, titrée « en avant », correspond à la gravure « le départ). Vient ensuite « on s’enlève », similaire au dessin « on est parti ». Les deux photos suivantes portent le titre « L’ ‘Aéronette’ du maestro Bosc est aussi gracieuse qu’élégante ».
La quatrième photo illustre « on vole ». Elle ressemble à nouveau très fort aux dessins de la partition. La troisième présente une position inédite. Les danseurs sont côte à côte, bras écartés sur les côtés, plutôt bas. Ils ont les genoux pliés et ils sont peut-être penchés en avant. J’identifie cette figure comme étant « On atterrit ».
Le cinéma
Enfin, la dernière source est audiovisuelle (cliquez pour visionner sur Youtube). Il s’agit d’un film d’actualité, repris dans Paris mil neuf cent : chronique de 1900 à 1914 de Nicole Vedrès. Ce documentaire sorti en 1947 regroupe des extraits de plus de 700 films.
On y voit un dancing ou un café dansant. Un couple danse l’Aéronette. La femme porte une coiffe rappelant les hélices d’un avion. Cette coiffe est similaire à celle que l’on voit sur les gravures d’illustration de la partition. Les danseurs pourraient bien être les Lefort, si l’on en croit cette photo.
J’ignore la provenance exacte de ce document d’archive.
Conclusion et reconstruction de l’Aéronette
Une fois n’est pas coutume, l’historien de la danse a une foule de sources à sa disposition. On peut donc s’attendre à une reconstruction précise et détaillée.
Mais, cet article étant déjà fort (voire trop) long, je vous livrerai la description de l’Aéronette dans les prochains articles. Rendez-vous donc pour analyser les sources pour remonter l’Aéronette, et pour la reconstruction elle-même.
D’ici là, prenez soin de vous, et dansez!
2 commentaires
Jose Manuel Araque
Very interesting that you tie the Aeronette to the « Glide »: many Glides were composed, the first one dedicated by Louis Hirsch to Gaby Deslys in Vera Violetta.
Sandra Stevens
Hello Jose Manuel,
Thank you for your comment!
The glide dates at least from 1875, « The GLide Waltz » by William B. de Garmo. It is very close to the waltz, and indeed become hugely popular in the 1910s.