Typologie des bals au 19ème siècle – Partie 1

Continuant sur la lancée de « On ne danse pas… », lisons aujourd’hui un article de Charles de Launay, alias Delphine de Girardin, sur les différentes sortes de bals au milieu du 19ème siècle. On sait qu’au 18ème siècle, les types de bals étaient très codifiés. En était-il de même au siècle suivant ?

L’autrice nous propose un panorama des bals parisiens en 1841. Une époque charnière, entre la danse Empire définitivement éteinte, et la polka qui n’arrivera que trois ans plus tard. Une époque où l’on danse la valse et le galop, où l’on marche le quadrille et la contredanse… Mais à quelles occasions ?

L’article détaille dix sortes de fêtes dansantes :

  • Le bal grandiose
  • Le bal de vanité
  • Le bal indigène
  • Le bal de garçon
  • Le bal d’occasion
  • Le bal d’enfants
  • Le bal de cour
  • Le bal de célébrités
  • Le bal forcé
  • … et un bal bonus, qui ouvre la liste.

Le bal manqué

« Nous vous avons promis le récit du bal américain donné la semaine dernière ; ce récit sera moins brillant qu’on ne devait l’espérer. C’était ce qu’on appelle un bal manqué (le prote va mettre un bal masqué : le cruel nous fait dire souvent des choses bien étranges, mais c’est notre faute ; les compositeurs ne sont pas forcés d’être des Champollions), c’était un bal manqué, parce qu’il n’y avait point d’harmonie, et que c’est l’harmonie qui fait la grâce et la beauté de toute chose. Pour être complète, il faut qu’une fête ait un caractère qui la dessine, un cachet que l’on reconnaisse, une signification qui soit comprise facilement. Il y a des fêtes, même dans le grand monde, de genre très-différents, et chacun a son mérite et son charme particulier ; c’est pourquoi il n’est pas permis de donner un bal qui n’ait aucune physionomie et qui n’appartienne à aucun de ces genres distincts que nous tâcherons de définir. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Le bal manqué, c’est donc celui qui n’appartient à aucun genre. Pour de Launay, la réussite d’une soirée dansante tient à deux choses. L’harmonie d’une part, et le fait d’appartenir à un genre. Le premier assure la beauté de l’événement, le second permet aux participants de le comprendre. Mais, justement, quel sont les différents styles de bal ?

Le grandiose

« Voulez-vous et pouvez-vous donner ce que nous appellerons le bal grandiose ? Alors faites les choses grandement, ayez, comme à l’ambassade d’Angleterre, des salons superbes, des galeries magnifiques, des corridors de fleurs, des laquais innombrables, un buffet perpétuel ; et puis invitez deux mille personnes, des Anglais, des Russes, des Français, des Espagnols, des Allemands, pour remplir, peupler, animer et consommer tout cela. Ce sera un splendide tableau féérique tout rempli d’éblouissantes illusions, un panorama vivant où seront glorieusement représentées toutes les nations d’Europe. On aura d’illustres personnages à regarder, d’intéressants souvenirs à rapporter ; on dansera, on causera, on se promènera, on s’amusera ; on se fatiguera bien un peu ; on souffrira du bruit de l’orchestre, du mouvement de la foule, de l’éclat des lumières ; on sera étourdi, mais on sera enchanté, et l’on s’écriera avec enthousiasme : c’est admirable ! jamais je n’ai vu une plus belle fête ! Le bal grandiose est en effet de tous les genres de réunions le plus estimé ; mais il n’est pas donné à tous d’y prétendre. Il exige des proportions gigantesques, il n’admet aucune arrière-pensée ; point de lésinerie, point de faux marché. Il faut lui consacrer toute votre demeure, lui sacrifier tous vos trésors, les fleurs de votre serre, les tableaux de votre salon intime ; il faut que cette foule brillante puisse circuler dans tous les sens ; il faut qu’on puisse la fuir elle-même, en se réfugiant dans votre élégante retraite. A l’heure du souper, il faut que ce peuple de convives soit d’un regard, sinon rassasié, du moins rassuré par le luxe du banquet et la facilité du service, on n’est affamé que parce qu’on craint de n’avoir rien à manger ; on ne s’aperçoit qu’il y a beaucoup de monde dans le bal parce qu’on y manque de tout, d’air, de place, de sièges, de tables. Mais si au contraire on obtient aisément toutes ces choses, on ne se plaint pas d’être tant de gens à les chercher. Qu’importe la multitude là où se trouvent l’abondance et l’espace ! Aphorisme : dans une fête, pour qu’il n’y ait point confusion, il faut qu’il y ait profusion. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Le bal grandiose est la quintessence du bal. Des invités nombreux et venus des quatre coins du monde. Un décor incroyable de fastes, mais dans lequel les invités se déplacent aisément. Un banquet gargantuesque mais bien orchestré. Bref, une soirée où l’on dépense sans compter, pour le bonheur de chacun.

J’aime beaucoup la phrase « pour qu’il n’y ait point confusion, il faut qu’il y ait profusion », comme si l’abondance garantissait le bon ordre.

Frédéric-Emile Simon, Fêtes Gutenberg à Strasbourg, 3e journée : Bal à la Salle de Spectacle, le 26 Juin 1840.

Le vaniteux

« Seconde espèce de bal, dit bal de vanité. Le bal de vanité est en général très somptueux et d’une élégance irréprochable, mais sérieux comme la vanité et froid comme la prétention. Dans un bal de vanité, chacun arrive avec un regret, et après avoir accompli un sacrifice. Celle-ci a fait des bassesses pour être priée ; celle-là s’est donné un habit de bal ou quelques petits diamants en-dehors de son budget, et les petits diamants sont ceux qui coûtent le plus cher. Le maître de la maison ne connaît presque pas les grands seigneurs qu’il a invités et qu’il a mérité de recevoir par ses dorures et ses tentures ; il les salue d’un air contraint : ce n’est qu’à force d’importance qu’il parvient à cacher son embarras. Il ne se rassure qu’en les voyant contempler avec une dédaigneuse envie les magnificences de sa maison. C’est si flatteur d’être envié par des gens qui ne font aucun cas de vous ! Les bals de vanité sont rarement animés ; ils sont peu nombreux. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Dans le bal de vanité, comme dans le grandiose, on dépense beaucoup. Mais l’esprit de la dépense diffère totalement de celui du bal grandiose. Le grandiose dépensait généreusement, sans arrière-pensée. Ici, chacun se met en frais – trop en frais – dans un but précis : l’esbroufe. C’est autant la vanité des organisateurs que des invités. Personne n’est là pour s’amuser, tout le monde est là pour se montrer et se vanter. Les invités sont peu nombreux, pour bien leur faire sentir la chance qu’ils ont d’être conviés.

« On ne s’y amuse point, mais on s’y complait. Là où l’on se sent choisi, là on se croit d’une essence bien supérieure à l’essence vulgaire ; on peut même s’y croire d’une nature plus délicate, car on y gèle et l’on s’y enrhume facilement ; mais on se console de ce désagrément et l’on en tire parti en disant pendant huit jours à toutes celles d’entre ses amies qui n’étaient pas priées à ce bal d’élite :

 – Je suis bien souffrante, ma chère ; je me suis affreusement enrhumée l’autre jour au bal chez Mme ***.

– Ah, vous y étiez ? 

– Oui, c’était charmant. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Ce petit dialogue me fait beaucoup rire. La première protagoniste utilise son rhume juste comme prétexte, pour pouvoir se vanter d’avoir été invité à un événement prestigieux. Mais quand son amie l’interroge, elle n’a rien à dire de plus sur le bal en lui-même.

« Toutefois les bals de vanité ont une physionomie particulière qui leur donne une grande valeur ; un luxe bien entendu, une splendeur qui semble habituelle, une extrême recherche dans les détails sont le caractère distinctif de ces sortes de fêtes ; mais cette extrême recherche n’est pas elle-même sans tristesse. Ce luxe imposant n’est pas non plus sans un cruel retour. On sent que toutes ces belles choses ont le tort d’être indispensables ; ce sont les conditions du traité ; effacez ces dorures, arrachez ces tentures, et toutes ces brillantes personnes si fières d’avoir été admises, et pourtant si complaisantes d’être venues… disparaitront. Quand on pense à cela, ces belles choses que l’on regardait d’abord avec admiration, finissent par vous sembler laides, oui laides comme… comme une condition. Est-il un chose au monde qui soit plus laide qu’une condition ? » 

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Les bals de vanité sont exquis et luxueux. Ils sont obligés de l’être, c’est la condition pour que les invités se présentent.

L’indigène

« Troisième espèce de bal que nous appellerons le bal indigène, parce que nous ne trouvons pas d’autre mot. Nous entendons par cette expression un bal naturel que l’on donne sans effort, sans trouble, sans prétention, dans son pays, dans son quartier, dans son hôtel, pour sa société et pour sa famille, selon sa fortune et sa position. Pour ces fêtes-là on fait des invitations soi-même, et l’on connaît tous les gens qu’on a chez soi. On ne les reconnait pas tous, il est vrai. Souvent la maîtresse de la maison, étonnée, salue un beau danseur paré d’une barbe superbe et de moustaches orgueilles, et tout en le saluant elle se demande qui est-il ? Mais lui s’approche d’elle en souriant, et dit :

– Vous ne me reconnaissez pas, madame ?

– Ah, Charles, c’est vous ! Que j’ai de plaisir à vous revoir.

– Depuis mon retour je suis déjà venu bien des fois, mais…

– Oui, votre mère me l’a dit ; je dois diner demain chez elle : vous me raconterez vos voyages. (…)

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Le bal indigène, c’est un rasemblement de quartier, sans faux-semblants. De temps en temps, on y croise un jeune homme qui revient d’un long voyage.

La valse. Un bal dans la bourgeoisie. Lithographie 19ème siècle, artiste inconnu.

Les Persans et les Africains

Et après une longue et douloureuse absence, après avoir traversé des désert non-seulement horribles, mais horriblement ennuyeux, après avoir bravé les périls les plus variés, (…) ils reviennent gaiment danser, valser dans les bals indigènes comme de simple Parisiens. Et pourtant on ne les traite plus de Parisiens. On les a nommés du nom de leur voyage, on les appelle les Persans. Or, les Persans sont fort à la mode cet hiver (…) Elle [la mode] protège aussi beaucoup les Africains ; on appelle ainsi les jeunes gens d’une grande naissance, d’une grande fortune qui (…) vont soit comme officiers, soit comme soldats, faire la guerre en Afrique pour se désennuyer, et tuer les Arabes pour tuer le temps. Quoi ! des gens riches qui se font soldats et qui courent dans ce maudit pays quand ils pourraient vivre ici bien tranquilles !

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

J’ai dû couper à tort et à travers dans ce passage. L’autrice se lance dans une diatribe enflammée et très ironique sur les jeunes garçons de bonnes famille qui poursuivent une carrière militaire à l’étranger. La dernière phrase (Quoi! Des gens riches qui se font soldats…) vous donne une bonne idée du ton qu’elle emploie. Mais cet article porte sur les bals, d’où mes coupes franches.

La suite du bal indigène

 Que voulez-vous, ils trouvent que parce qu’on porte un beau nom et que l’on a une belle position, ce n’est pas une raison pour rester inconnu et inutile ; et honneur pour honneur, ils aiment mieux faire parler d’eux à propos d’une glorieuse expédition en Afrique, que de se rendre à jamais fameux sur le boulevard des Italiens, pour avoir fumé trois douzaines de cigares en un jour, pour être tombé cinq fois dans une mare verdâtre, ou pour avoir compromis une danseuse de l’Opéra.(…)

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.
Le bal. « Il n’est pas encore minuit »
Henry Monnier, Le Bal, 1828.

Delphine de Girardin n’apprécie guère ces jeunes hommes qui se font militaires à l’étranger. Mais elle n’apprécie pas non plus ceux qui restent à Paris et font des frasques de jeunesse (boire, fumer, badiner). Elle a en revanche de la tendresse pour la franchise du bal indigène:

Dans ces bals exceptionnels tout le monde se connaît, et comme tout le monde se connaît depuis longtemps, personne ne cherche à se tromper. Les mères ne cachent point leur âge ; elles ne cachent point non plus leurs filles : à quoi cela servirait-il ? on sait que leur fille a vingt ans. Là personne n’étale un luxe d’emprunt, on sait votre fortune à un centime près ; là point d’hypocrisie, point d’insolence, on sait qui vous êtes et tout ce qui vous est arrivé. Et comme là personne n’est préoccupé du besoin de jouer un rôle ou de soutenir un mensonge, il en résulte que chacun y paraît à son avantage, avec tout son esprit, sa bonne grâce et sa bonne humeur.

Vivent les bals indigènes, ils ne sont une fatigue pour personne, pas même pour la maîtresse de la maison, qui n’a d’autre devoir à remplir que celui d’être aimable et bienveillante comme tous les jours. Demandez plutôt à Mme de Choi… ou Mme de Chast…, vous étiez chez elles la semaine dernière.

– Oui, que ces deux bals étaient charmants, ce sont les deux plus jolies fêtes de l’année…

– Eh bien ! C’était là le bal indigène.

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Conclusion

Avec sa verve habituelle, Delphine de Girardin, alias le vicomte de Launay, nous détaille quatre sortes de bals. Le manqué, qui n’a pas su choisir un genre précis. Le grandiose, où tout est présent en grand nombre pour le bonheur de tous. Le bal de vanité, que l’on donne et où l’on va uniquement pour se faire mousser. Et enfin, le bal « indigène », événement de quartier sans hypocrisie.

Il nous reste six types de bals à découvrir dans le prochain article (parce que, mine de rien, celui-ci compte déjà plus de 2000 mots).

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