Typologie des bals au 19ème siècle – Partie 2

Cet article poursuit la classification des bals entamée précédemment. Poursuivons donc la lecture de l’article drôle, et un peu méchant du vicomte de Launay. Il est paru dans La Presse en février 1841.

Le bal de garçon

« Il est une autre espèce de bal, non pas plus élégant ni plus distingué, parce que cela est impossible, mais plus merveilleux, mais plus exquis, plus quintessencié, c’est le bal de garçon. Quelquefois celui qui le donne est marié et remarié ; mais cela ne change rien à la dénomination, s’il n’y a point de femme pour faire les honneurs du bal, c’est un bal de garçon. Ces fêtes-là sont admirables, elles ont un cachet tout particulier ; il n’y a que de jolies femmes ; l’homme libre a le droit de supprimer les paquets ; il fait servir à cela l’indépendance de sa position. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Le bal de garçon est donc l’apanage des hommes seuls, célibataires à temps plein ou momentanément. C’est le bal de la beauté féminine. On y sélectionne les plus belles femmes en laissant de côté les « paquets » (la classe, quoi).

bal de garçon vieux garçon caricature valse 1860
– Tu comprends, m’man, on s’amusera forcément à ce Bal. Tous ces messieurs d’un âge frisant le retour savent au moins valser. Ils ont, je pense, fait leurs preuves.
– Jolies preuves ma foi… Die alti Gnane met era braiti graneler wann nichs as memfeler asse aver net birothe, a laïn gesh mer net* ta tante et moi te chaperonnerons, tu entends? »
* Les vieux gnomes avec leurs petites granules quand ils ne sont pas plus forts qu’eux, mais ils n’ont pas peur, ils ne savent pas que… ta tante et moi te chaperonneront, tu entends?
A propos du bal donné par les vieux garçons,1860.
(la BNF indique « langue: français » mais l’alsacien est bien représenté aussi)

« Son salon n’est plus un salon ; c’est une arène où viennent combattre en champ clos les beautés de tous les pays ; c’est une lutte d’élégance, un tournoi à l’éventail, dans lequel il y a des triomphes pour toutes les combattantes, puisqu’il y a là des juges et des hérauts décidés à proclamer la victoire pour chacune d’elles. Vous savez, à Paris, chaque élégante coterie a sa reine de beauté, sa Célimène par excellence, sa femme à la mode, pour parler vulgairement. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Une coterie est un terme méprisant pour parler d’un groupe de personnes qui soutiennent des intérêts communs. On dirait aujourd’hui une « clique ». Célimène est une jeune femme coquette et célibataire, que l’on croise dans le Misanthrope de Molière.

« Eh bien ! dans ce bal sans pareil, toutes ces majestés rivales se trouvent en présence ; réunies, pour cette seule fois, dans un glorieux congrès où il s’agit de soutenir dignement les intérêts de sa renommée et l’honneur de sa coterie. Quelle émulation de parure, quel zèle d’amabilité ! Figurez-vous un magnifique banquet dont les fleurs intelligentes choiraient pour vous enivrer à l’envi leurs belles couleurs, leurs plus doux parfums. Les bals du prince tuff*** sont en ce genre les plus célèbres ; le dernier était superbe ; que de jolies Anglaises ! que de belles Moscovites ! que de gracieuses Parisiennes ! Comme on devinait tout de suite la pensée fondamentale de cette réunion ! comme le sens en était clairement expliqué ! comme on voyait vite, en regardant ces charmantes jeunes femmes, qu’elles étaient là par droit d’élégance et de beauté ! »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Vous l’aurez compris, le bal de garçon est un peu le concours de miss de l’époque. Comme un étal de charcutier (après tout, de Launay parle d’un « banquet »), dressé uniquement pour le plaisir des yeux. L’auteur classe ces fêtes parmi les fêtes agréables, et enchaîne sur le bal suivant.

Le bal de voyageurs

bal au casino de bagnère 1852 valse gravure vacances danse
F.Sinnet (éd.), Bagnères de Bigorre – Le casino, 1852.

« Parmi les fêtes agréables, nous compterons encore les bals d’occasion, ou bals de voyageurs. Ceux-là n’ont aucune prétention au luxe des tentures, à l’éclat des lambris ; c’est une fête improvisée, animée, joyeuse et amusante, comme tous les plaisirs qu’on improvise. La maitresse de maison semble dire : Je ne suis pas chez moi, je ne suis responsable de rien ici, j’ai pris ce qu’il y avait de mieux dans votre Paris ; si vous trouvez que cela est mal, c’est votre faute, pourquoi n’avez-vous rien de plus beau ? Venez me voir dans mon palais à Naples, à Vienne, à St-Pétersbourg ou à Madrid, et alors vous pourrez me juger. Ce n’est pas une fête que je vous donne, c’est une hospitalité que je vous promets ; ne retenez de cette soirée qu’une chose, c’est le plaisir que j’aurai partout à vous recevoir. Ces bals d’occasion, offerts par extraordinaire, ont quelquefois tant de succès, qu’on est forcé d’en donner plusieurs ; et vous verrez que Mme d’Orbes…, chez qui l’on a dansé l’autre jour jusqu’à cinq heures du matin, chez qui vous, madame la duchesse, vous êtes restée si tard, ne pourra pas se dispenser de donner après le Carême une troisième fête improvisée. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

On s’amuse apparemment beaucoup dans ce bal improvisé. Et c’est un comble, quand l’autre bal si réussi, le grandiose, requiert, au contraire, énormément de préparations.

Le bal d’enfants

« Et le bal d’enfants !… Oh ! Qu’il est délicieux, celui-là, surtout depuis que la mode des véritables enfants est revenue ! Naguère, il n’y avait plus d’enfants ! De six mois jusqu’à cinq ans, on daignait encore être enfant ; mais passé cinq ans, il n’y avait plus que des pédants et des vieillards ; des petits messieurs de six ans et demi, déjà un peu fats et tout de suite très-sots, dédaignant leur sœur et grondant leur mère quand elle faisait une faute d’anglais ; des petites maitresses de cinq ans au plus, portant un mantelet et nouant un chapeau avec une expérience de coquette ; critiquant ceci, dénigrant cela avec un aplomb de vieux journaliste. Vrai, il n’y avait plus d’enfants, il n’y avait plus que des vieillards en miniature. On ne disait plus grave comme un conseiller, on disait grave comme un écolier. On ne disait plus imposant comme une Reine, on disait imposant comme une pensionnaire. Et dans le fait, les enfants d’alors étaient si sérieux qu’on ne leur offrait des bonbons qu’en tremblant.

Grâce au ciel l’esprit d’enfance est revenu ; et c’était plaisir l’autre soir de voir dans le beau salon de Mme de Ch*** sautiller toutes ces gracieuses petites filles, gambader ces jolies (sic) garçons. En vain un maitre de danse profond et solennel, braquant ses larges besicles sur tous ces petits pieds, essayait de régler leurs pas et d’enfermer leur gaité vivace dans les chaines d’une contredanse ; il ne pouvait en venir à bout heureusement ; et tous ces petits pieds s’agitaient, ces petites mains se mêlaient, c’était une confusion adorable. Et nous regardions folâtrer ces jolis amours tout en causant avec leurs pères et grand-pères, orateurs de talent, hommes politiques éminents, et nous disions en leur montrant un bel enfant aux cheveux d’or que tout le monde admirait : « Quand on pense que cet amour blond et rose sera peut-être un jour ministre ! cale fait frémir. C’est bien joli un bal d’enfants, de véritables enfants ! »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Le bal d’enfants met les enfants à l’honneur. Ils dansent sous le regard de leurs parents. En France, ce type de bal existe au moins depuis la Restauration. Le comte Rodolphe Apponyi en mentionne un en 1827 (Journal du comte Rodolphe Apponyi (…), tome 1, p.46 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9736313v/f102.item ). Ces bals d’enfants rencontrent un succès important au XIXème siècle, et jusqu’au début du XXème siècle.

bal masqué costumé bal d'enfants au 19ème siècle 1842 déguisement
Eugène Lami (dess.) et Rolls (gravure), Bal d’enfants, 1842.

Bal de cour et de célébrités

« Le bal de cour… vous savez ce que c’est : une collection de bourgeois. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

L’autrice se perd parfois en verbiage, sa plume prolixe nous assomme de détails (même s’ils sont amusants). Elle nous prouve ici qu’elle peut aussi être incisive.

« Le bal, ou plutôt, la soirée des célébrités !… vous le savez aussi : c’est une admirable collection de supériorités, un médailler d’intelligences ; l’on s’empresse d’y venir. On s’y amuse sans peine ; l’invitation seule est déjà une flatterie, et l’on se plaît toujours là où l’on est flatté. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Le bal de cour, et le bal des célébrités, deux occasions où se faire voir et se faire inviter comptent plus que tout. L’ambiance, la décoration, l’assemblée réunies à ces bals n’ont aucune espèce d’importance.

Le bal de nécessité

« Nous avons enfin le bal forcé, le bal de nécessité qu’on donne par devoir et dans l’intérêt de sa position. Celui-là est admirable d’harmonie. Là au moins chacun des inconvénients est compensé par un inconvénient contraire. L’appartement est mal décoré… mais en revanche il est mal éclairé. Ici il fait trop chaud… mais plus loin, il fait très-froid. On étouffe dans le salon… mais on gèle dans la salle à manger qui donne sur un escalier glacial. L’orchestre est médiocre… mais on ne l’entend pas ; il est dans la chambre voisine. Les rafraîchissements sont peu abondants, mais ils sont mauvais. Les danseurs sont rares… mais ils sont vieux. Les danseuses ne sont pas jolies… mais elles sont mal mises. On ne s’est inquiété nullement de se procurer ce qui constitue un bal agréable, de beaux danseurs et de belles jeunes filles, car il ne s’agit point de donner une fête élégante, mais de réunir du monde par condescendance et pas obligation ; des supérieurs dont on dépend, ou des gens influents dont on a besoin, or les gens dont on a besoin sont toujours laids. Bref, le bal forcé est triste et singulièrement ennuyeux ; mais il finit de bonne heure, ce qui est une belle compensation. Et si le maître de la maison, en vous congédiant, a l’air de vous dire :

– Je ne vous ai pas invité pour mon plaisir.

Vous à votre tour, en le saluant, vous avez l’air de lui répondre :

– Je ne suis pas venu pour m’amuser. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

Ce dernier bal est sans doute le plus triste de tous. Le maître de maison n’a pas envie de l’organiser, les invités n’ont pas envie d’être là. Et partout on sent que le cœur n’y est pas.

bal officiel de cour quadrille 1830s 1840s restauration danse formelle
John Doyle, A Ballroom scene: a fragment, 1838.

« Voilà une nomenclature de bals assez complète. De tous ces bals nous en avons pourtant oublié un seul, c’est celui auquel nous devons aller ce soir. Partons bien vite, il est déjà bien tard. »

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre V, 21 février 1841, édition Lévy, Paris, 1857, tome 4, p.141 sqq.

C’est ainsi que Delphine de Girardin conclut ainsi son article. Mais je n’ai pas résisté à vous ajouter une anecdote, issue d’une autre lettre parisienne.

Conclusion: une question de ressenti

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre IV, 8 février 1837, éditions Lévy, Paris, 1857, tome 1, p.83-84.

« On nous écrit à l’instant :

‘Je regrette bien que votre grippe vous ait empêché de venir hier soir au bal Musard, à l’Opéra. C’était une fête dont rien ne peut donner l’idée : six mille personnes dans la salle, et deux mille à la porte qui n’ont pu entrer. Toutes les loges prises ; celles du roi, de M. le duc d’Orléans, envahies par des gens qui ne savaient où se réfugier. Les costumes les plus pittoresque, les danses les plus vives, les plus passionnées. La police point taquine, et pas le moindre désordre ; mais ce qu’il y a eu de remarquable, l’événement de la nuit, c’est le triomphe de Musard, porté sur les épaules de six des plus beaux danseurs, et promené dans toute la salle, aux acclamations, aux applaudissements de toute la foule. La figure de Musard était rayonnante ; c’était le roi des ribauds. Pardon si je vous écris si tard, je viens de me réveiller. Dix heures du soir.’

Une autre personne nous écrit : ‘Vous avez bien fait de ne pas venir avec nous hier au bal Musard, à l’Opéra. C’était une cohue épouvantable ; on ne comprend pas qu’on puisse s’amuser à de pareils plaisirs. Il y a eu bien des batailles où l’on courait moins de dangers. Un jeune homme est tombé au milieu d’un galop, tout le galop lui a passé sur le corps ; on l’a relevé dans un état affreux ; puis les danses les plus scandaleuses, un désordre épouvantable. J’ai eu, pour ma part, un pan de mon habit emporté. Je ne vous ai pas écrit plus tôt ces détails sur ce bal de fous, parce que je crois qu’il vaut mieux que vous n’en parliez pas.’

Voilà Paris, voilà le monde ; lequel de ces eux juges faut-il croire ?… Peut-être les deux.

Vicomte de Launay, Lettre parisiennes, lettre IV, 8 février 1837, éditions Lévy, Paris, 1857, tome 1, p.83-84.

A la lecture de cet article, on s’interroge forcément sur ce qui fait la réussite d’un bal. Hé bien, Oscar Wilde disait « La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde ». Il faut croire que le succès d’un bal est dans le ressenti de celui qui danse!

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