1823, Grande-Bretagne. Le paysage dansé est en pleine mutation. La contredanse, qui régnait en maître sur les bals du XVIIIe siècle, est en train de passer de mode. Le nouveau quadrille séduit rapidement les danseurs dans toute l’Europe, en particulier dans les grandes villes.
Comment le quadrille a-t-il détrôné la contredanse en colonne ?
Comment le public a-t-il accueilli ce nouveau venu sur les parquets de danse ?
Comme toutes les nouveautés, de la valse au twerk, le quadrille a d’abord été mal vu dans la bonne société. Ensuite, les plus jeunes s’y sont risqués. Au contraire, les adeptes de la contredanse, la vieille garde du longway, se sont accrochés longtemps à leurs anciennes habitudes.
Dans cet article, on s’intéresse à ce moment-clé de l’histoire du quadrille à travers la lecture d’un poème.
Un mot de contexte
Le quadrille, est né en France vers 1800. C’est en quelque sorte le petit-fils de la contredanse.
La contredanse française, à quatre couples, proposait 9 entrées immuables en alternance avec un refrain unique. Longue et répétitive, la contredanse française donne naissance aux « pots-pourris de contredanse ». Entre chaque entrée, on y danse un refrain différent, en général un succès de la saison précédente.
Le quadrille, c’est le fils pressé du pot-pourri. Il va « droit au but » avec seulement 5 refrains et plus du tout d’entrée.
Avec son format court et ses figures qui ne se répètent jamais, il a rapidement du succès dans les bals de chaque côté de la Manche. Il concurrence sérieusement la contredanse en carré, autant que la country dance anglaise en colonne.
On retient en général le couronnement de la reine Victoria, en 1839, comme date « officielle » de la mort de la contredanse.
Pendant 40 ans, donc, le quadrille et la contredanse se sont fait concurrence. Ne voyez pas cela comme une simple mode qui passe tandis qu’une autre arrive.
En particulier en Angleterre, où la disparition de la danse nationale au profit d’une nouveauté d’outre-Manche attriste pas mal de gens. Ici, la tension entre génération se double d’une tension internationale, teintée de francophobie. Après tout, on n’a pas battu Napoléon pour danser français, que diable !
Cette évolution a déchaîné les passions, entre les tenants de la vieille contredanse nationale et les partisans du jeune quadrille.
Jane Austen elle-même, écrit :
Much obliged for the quadrilles, which I am grown to think pretty enough, though of course they are very inferior to the cotillions of my own day.
Je vous remercie infiniment pour les quadrilles, que je commence à trouver assez jolis, bien qu’ils soient bien sûr très inférieurs aux cotillons de ma jeunesse.
Jane Austen, Lettre à sa nièce Fanny, 1816.
Le poème « Country dance and Quadrille »
C’est dans cette ambiance tendue que Thomas Moore publie un long poème : Country Dance and Quadrille. A defence of the old dancing (Contredanse et Quadrille. Une défense de la danse ancienne). Il raconte une bataille épique entre les deux danses. Le poème illustre magnifiquement le lent déclin de la contredanse.
Thomas Moore (1779-1852) est un poète et écrivain irlandais. Il voyage en France, en Italie, en Grande-Bretagne. Il se trouve aux premières loges pour voir les derniers soubresauts de la contredanse.
Dans cet article, je vous propose une traduction et une mise en contexte du poème.
J’ai traduit le texte, parfois de façon un peu rustique, je m’en excuse. La traduction, c’est un métier, et pas le mien ! Néanmoins, le rendu est compréhensible et fidèle à l’original, c’est le plus important.
Première partie : L’exil de Contredanse
One night the nymph called COUNTRY DANCE-
(Whom folks, of late, have used so ill,
Preferring a coquette from France,
That mincing thing, Mamselle QUADRILLE)
Having been chased from London down
To that most humble haunt of all
She used to grace-a country town-
Went smiling to the New Year’s ball.
‘Here, here at least!’ she cried,
‘though driven From London’s gay and shining tracks
Though like a Perl cast from heaven
I’ve lost, forever lost, Almack’s;
Une nuit, la nymphe nommée CONTREDANSE (dont les gens se sont dernièrement lassés, lui préférant une coquette de France, cette chose maniérée, Mamselle QUADRILLE)
Chassée de Londres jusqu’à ce très humble repaire de tous ceux qu’elle charmait autrefois – une ville de campagne – [elle] s’en allait, souriante, au bal de Nouvel An.
’Ici, ici enfin !’ sanglotait-elle, bien qu’éloignée des pistes gaies et brillantes de Londres, bien que bannie du Paradis comme une Perle, j’ai perdu, perdu à jamais les Almack’s ;
Dès le début, le décor est planté : Contredanse est reléguée dans un bal de Nouvel An dans la campagne anglaise. Elle se lamente d’avoir perdu les Almack’s, célèbre lieu de réunion de la haute société londonienne. Ses anciens adeptes ne veulent plus la côtoyer.
‘Though not a London Miss alive
Would now for her acquaintance own me,
And spinsters, e’en of forty-five,
Upon their honors ne’er have known me;
‘Here, here at least, I triumph still,
And spite of some new dandy Lancers,
Who vainly try to preach Quadrille,
See naught but true blue Country Dancers.
‘Here still I reign, and fresh in charms,
My throne like Magna Charta raise
‘Mong sturdy free born legs and arms,
That scorn the threaten’d Chaine Anglaise.
Bien qu’aucune demoiselle de Londres vivante ne voudrait avoir affaire à moi, et que les vieilles filles, même à 45 ans, sur leur honneur, jurent ne m’avoir jamais connue ;
Ici, ici au moins, je triomphe encore, et malgré quelques nouveaux Lanciers, qui tentent vainement de prêcher Quadrille, [je] ne vois rien que de fidèles Contredanseurs.
Ici je règne encore, et frais comme un gardon, mon trône s’élève comme la Magna Carta parmi les jambes et bras robustes et libres, qui méprisent la Chaine anglaise menacée
Dans sa campagne, Contredanse a peu de concurrence, si ce n’est « quelques nouveaux Lanciers, qui tentent vainement de prêcher Quadrille ». Une référence amusante au quadrille des Lanciers, créé en 1817 par John Duval.
La Magna Carta est un accord conclu au 13e siècles entre le roi d’Angleterre et ses vassaux. Il s’agit d’un symbole de liberté fort dans la culture britannique. Moore oppose ce symbole national à la Chaîne anglaise, qui, comme son nom ne l’indique pas, est une figure de quadrille.
Deuxième partie : Contredanse fait bonne figure
La nymphe Contredanse fait donc contre mauvaise fortune bon cœur. Elle compte profiter de la fête, même à la campagne.
‘Twas thus she said as ‘mid the din
Of footmen and the town sedan,
She ‘lighted at the King’s Head Inn,
And up the stairs triumphant ran.
Ainsi qu’elle parlait au milieu du vacarme des valets et des chaises à porteur, elle illuminait le King’s Head Inn, et montait les marches en triomphant.
King’s Head Inn est un nom hyper commun pour les pubs de la campagne anglaise. C’est l’équivalent de « Les flots bleus » pour les campings.
The Squires and their Squiresses all,
With young Squirinas, just come out,
And my Lord’s daughters from the Hall,
(Quadrillers, in their hearts, no doubt)-
All these, as light she tripp’d up stairs,
Were in the cloak-room seen assembling-
When, hark! some new, outlandish airs,
From the First Fiddle, set her trembling.
She stops-she listens-can it be?
Alas, in vain her ears would ‘scape it-
It is « Di tanti palpiti »
As plain as English bow can scrape it.
Tous les messieurs et leurs dames, avec leurs damoiseaux à peine entrés dans le monde, et les filles de monseigneurs depuis le Hall (Des danseurs de Quadrille, dans leur cœur, sans doute)-
Eux tous, alors qu’elle montait les escaliers, ils étaient tous assemblés dans le vestiaire, quand, oyez ! Des airs nouveaux et bizarres, joués par le Premier Violon, la font trembler.
Elle s’arrête, elle écoute – Ce serait… ? Hélas, en vain ses oreilles ne pourraient y échapper – C’est « Di tanti palpiti », aussi vrai qu’un arc anglais peut l’érafler.
Di tanti palpiti, l’air qui provoque l’inquiétude de Contredanse, est un air issu de l’opéra Tancrède de Rossini (1813). Vous pouvez l’écouter ici.
Ce n’est pas l’opéra qui trouble notre héroïne, mais bien l’air lui-même. Joseph Hart l’utilise en effet comme quatrième figure de son deuxième quadrille, publié en 1818. L’air est assez populaire pour que Contredanse – et le lecteur de 1823 – l’identifie immédiatement comme une musique de quadrille.
« Aussi vrai qu’un arc anglais peut l’érafler ». Les archers anglais sont reconnus pour leur dextérité. L’auteur veut dire ici que l’air est tellement clair et reconnaissable, qu’on pourrait l’écorcher en lui tirant une flèche.
« Courage! » however-in she goes,
With her best, sweeping country grace;
When, ah too true, her worst of foes,
QUADRILLE, there meets her face to face.
« Courage ! » cependant, elle entre, avec sa meilleure et large grâce de country. Quand, ah, trop vrai, la pire de ses ennemies, QUADRILLE, se retrouve en face d’elle.
Le mot country a plusieurs sens en anglais : il peut signifier la campagne – et en effet, la scène se passe à la campagne. Il signifie aussi le pays, ce qui accentue ici l’opposition entre la Contredanse britannique et son ennemie française.
Contredanse a donc la mauvaise surprise de rencontrer sa némésis au bal. Comment va-t-elle réagir ?
Troisième partie : voici la Quadrille qui débarque !
Oh for the lyre, or violin,
Or kit of that gay Muse, Terpsichore,
To sing the rage these nymphs were in,
Their looks and language, airs and trickery.
Oh, à la lyre, ou au violon, ou à la pochette de cette Muse joyeuse, Terpsichore, de chanter la colère de ces nymphes, leurs airs et leur langage, leurs manières et leur ruse.
La « pochette » est un petit violon portatif, à portée limitée. Son format en fait l’instrument préféré des maîtres à danser aux XVIIe et XVIIIe siècle. Nombre d’entre eux jouaient de la pochette tout en dansant et enseignant.
La tournure de la première strophe s’inspire d’Homère. En effet, le chant I de l’Illiade commence ainsi : « Chante, ô déesse, la colère d’Achille… ». Dans l’Illiade, la déesse en question est Calliope, muse de la poésie épique. Ici, il s’agit de sa sœur Terpsichore, déesse de la danse.
Le dernier mot de la strophe est « ruse« … Vous savez, la principale qualité d’un certain Ulysse.
Avec cette référence, Moore annonce l’ampleur du combat de Quadrille et Contredanse, qu’il présente comme une épopée.
There stood QUADRILLE, with cat-like face
(The beau-ideal of French beauty)
A band-box thing, all art and lace
Down from her nose-tip to her shoe-tye.
Her flounces, fresh from Victorine–
From Hippolyte her rouge and hair-
Her poetry from Lamartine–
Her morals from-the Lord knows where.
QUADRILLE se tenait là, avec son visage de chat (l’idéal de beauté français), un carton à chapeau, tout en art et en dentelle, du bout du nez aux lacets de ses chaussures.
Elle débarque, fraîche de Victorine, le fard et les cheveux d’Hippolyte, sa poésie de Lamartine, sa morale de – Dieu sait où.
Ce passage décrit – et critique – Quadrille.
Dans les strophes suivantes, Moore critique vertement Quadrille. Son visage de chat, ses habits trop chargés de dentelles, son maquillage, etc. Victorine est un roman de Jean-Claude Gorjy paru en 1789. Je n’ai pas tout lu, mais il s’agit d’un roman d’aventure assez classique.
Hippolyte est la reine des Amazones. Je vous laisse imaginer le teint rose et les cheveux en bataille de la guerrière après un combat. Souvenez-vous que la mode à l’époque, c’est d’avoir l’air légèrement décoiffé. On suppose donc que Quadrille est très à la mode, c’est-à-dire fardée et échevelée.
Lamartine est un poète romantique français (1790-1869). Son recueil Méditation poétiques, paru en 1820, connaît un succès immense. Les langueurs amoureuses du poète diffèrent fort du pragmatisme typiquement anglais.
« Sa morale de Dieu-sait-où » : L’immoralité des Français est un sujet de moquerie récurrent de la part des Britaniques. Ce stéréotype survit encore aujourd’hui dans l’expression French kiss, entre autres.
And, when she danc’d-so slidingly,
So near the ground she plied her art,
You’d swear her mother-earth and she
Had made a compact ne’er to part.
Her face too, all the while, sedate,
No signs of life or motion showing,
Like a bright pendule’s dial-plate-
So still, you’d hardly think ’twas going.
Et, quand elle danse en glissant tant, si proche du sol, quand elle exerce son art, vous jureriez que sa terre-mère et elle ont fait le serment de ne jamais se quitter.
Son visage aussi, calme pendant ce temps, ne montrant pas signe de vie ou mouvement, comme une pendule brillante à boutons, si calme que vous douteriez qu’il fonctionne.
Le passage sur la danse de Quadrille est particulièrement intéressant. Il met l’emphase sur un mouvement glissé, proche du sol, et très maîtrisé (« visage impassible »).
Il est vrai que le quadrille à l’époque de la Régence tardive est très athlétique. La danse demande énormément de concentration et de maîtrise de soi, tout en restant très léger et dans le sol.
Par la suite, le poème opposera ce style à celui de Contredanse.
Quatrième partie : Où l’on décrit Contredanse
Le passage suivant décrit Contredanse, tout en contraste avec Quadrille.
Full fronting her stood COUNTRY DANCE-
A fresh, frank nymph, whom you would know
For English, at a single glance-
English all o’er, from top to toe.
A little gauche, ’tis fair to own,
And rather given to skips and bounces;
Endangering thereby many a gown,
And playing, oft, the devil with flounces.
Unlike Mamselle-who would prefer
(As morally a lesser ill)
A thousand flaws of character,
To one vile rumple of a frill.
Pile en face d’elle se tenait CONTREDANSE, une nymphe fraîche et franche, que vous devineriez anglaise en un coup d’œil, toute anglaise, de la tête aux pieds.
Un peu gauche, a vrai dire, et plutôt versée dans les sautillements et les rebonds. Mettant en danger ainsi de nombreuses robes, et jouant le diable, souvent, avec les volants.
Au contraire Mam’zelle – qui préférerait (comme moindre mal moral) un millier de défaut de caractère à un seul froissement de ruché.
Contredanse est présentée comme l’antithèse de Quadrille. Typiquement anglaise, elle sautille et bondit de façon certes un peu maladroite. En tout cas, elle ne craint pas d’abîmer ses robes d’un geste brusque, emportée par l’énergie de la danse.
No rouge did She of Albion wear;
Let her but run that two-heat race
She calls a Set, not Dian e’er
Came rosier from the woodland chase.
Such was the nymph, whose soul had in’t
Such anger now-whose eyes of blue
(Eyes of that bright, victorious tint,
Which English maids call « Waterloo« )-
Like summer lightnings, in the dusk
Of a warm evening, flashing broke,
While-to the tune of « Money Musk« ,
Which struck up now-she proudly spoke.
Celle d’Albion ne portait point de fard ; laissez-là seulement courir cette course à deux chaleurs, qu’elle appelle Set, même Diane ne reviendrait pas plus rose d’une partie de chasse dans les bois.
Ainsi était la nymphe dont l’âme brûlait maintenant d’une telle colère – dont les yeux bleus (yeux de cette teint brillante et victorieuse que les demoiselles anglaises nomment « Waterloo »)-
Comme des éclairs d’été, dans le crépuscule d’une chaude soirée, clignotaient, tandis que – au son de « Money Musk » qui passait maintenant – elle parlait fièrement.
Contredanse n’a pas besoin de maquillage : la course de sa danse le long du set lui rougit suffisamment les joues. Elle est même plus rouge que Diane, déesse de la Chasse au retour d’une course dans les bois. Le set désigne la colonne que les danseurs forment pour la contredanse.
Alors que Quadrille avait un visage impassible, les yeux de Contredanse sont pleins de vie. Le poète en profite au passage pour rappeler la glorieuse victoire de Waterloo face aux Français. Parce que toutes les occasions sont bonnes, après tout.
Pendant ce temps, dans la salle de bal, la musique de quadrille a laissé la place à une contredanse, Money Musk. Il s’agit d’une mélodie et d’une contredanse qui furent un hit en Grande-Bretagne dès leur parution, vers 1775. Le succès fut tel que l’air et la danse s’exportèrent jusqu’au Canada. Pour plus d’information sur Money Musk voyez l’excellent article sur Mnémo.
Mais revenons au poème. Nos deux adversaires sont face à face, et le combat commence. Contredanse prend la parole.
Cinquième partie : la plaidoirie émouvante de Contredanse
« Heard you that strain-that joyous strain
‘Twas such as England loved to hear,
Ere thou, and all thy frippery train,
Corrupted both her foot and ear-
« Ere Waltz, that rake from foreign lands,
Presumed, in sight of all beholders,
To lay his rude, licentious hands
On virtuous English backs and shoulders-
« Entends-tu ces accords, ces joyeux accords ? Ils sont comme l’Angleterre aimait à les entendre, avant que toi, et ton cortège de frivolités, ne corrompiez tant son pied que son oreille-
« Avant que Valse, qui dévale de contrées étrangères, n’ose, à la vue de tous, poser ses mains libidineuses et vulgaires sur les vertueux dos et épaules anglais-
Contredanse tient son discours dans un langage très littéraire, voire archaïque, comme en témoigne la conjunction ere (avant que) et le pronom thou / thy (votre). Cette formulation va de pair avec le fond du message : le rejet de la nouveauté et la nostalgie du passé.
Ainsi, Contredanse critique la Valse, nouvelle venue sur les parquets londoniens. Cette danse de couple arrive à Paris vers 1800, et gagne difficilement les bonnes grâce du public. En effet, la position des danseurs (proches, les mains sur la taille ou les épaules du partenaire) est considérée comme particulièrement osée, voire dépravée.
« Ere times and morals both grew bad,
And, yet unfleec’d by funding blockheads,
Happy John Bull not only had,
But danc’d to, « Money in both pockets. »
« Avant que les temps et la morale ne deviennent mauvais, et, déjà tondu par des financements imbéciles, l’heureux John Bull non seulement n’ait, mais ne danse aussi « De l’argent dans les deux poches ».
John Bull est une personnification classique de l’Angleterre, comme Marianne l’est pour la France. Money in both pockets (« De l’argent dans les deux poches ») est une gigue très populaire, créée dans les années 1770 et encore publiée dans les années 1820.
« Alas, the change! Oh, L-d-y,
Where is the land could ‘scape disasters,
With such a Foreign Secretary,
Aided by Foreign Dancing Masters?
« Woe to ye, men of ships and shops!
Rulers of day-books and of waves!
Quadrill’d, on one-side, into fops,
And drill’d, on t’other, into slaves!
« Hélas, le changement! Oh, L-d-y, où est-ce que le pays pourrait échapper au désastre, avec un tel Foreign Secretary, soutenu par des maîtres à danser étrangers ?
« Malheur à vous, hommes de bateaux et de boutiques, maîtres des mains courantes et des courants ! Quadrillés, d’un côté, en dandy, et entraînés, de l’autre, en esclaves !
Ces strophes sont une critique envers Lord Londonderry, Robert Stewart. L’auteur du poème, Thomas Moore, a longtemps pris pour cible Robert Stewart en tant que Foreign secretary – c’est-à-dire secrétaire d’Etat aux affaires étrangères – entre 1812 et 1822.
Dans ses autres oeuvres, le poète critique sévèrement le rôle de Stewart dans les accords conclus au Congrès de Vienne (1814-1815). Sa critique est d’autant plus virulente que Stewart a déçu beaucoup de ses compatriotes irlandais (Moore compris) lors de la signature du traité d’Union en 1800.
La critique se fait vaguement complotiste, quand Moore accuse le Foreign Secretary de recevoir le soutien de maîtres à danser étrangers.
La strophe suivante continue le parallèle entre la danse, qui transforme les hommes en dandy (par le quadrille), et la politique, qui transforme les hommes en esclaves (des autres puissances européennes). C’est à mon sens le passage le plus fort du poème, avec une astucieuse allitération (ships and shops) et un parallélisme puissant (quadrille into fops // drilled into slaves).
Cette digression politique ne dure pas longtemps. Moore en revient aux danseurs, et plus particulièrement aux jeunes danseuses.
« Ye, too, ye lovely victims, seen,
Like pigeons, truss’d for exhibition,
With elbows, à la crapaudine,
And feet in-God knows what position;
« Hemm’d in by watchful chaperons,
Inspectors of your airs and graces,
Who intercept all whisper’d tones,
And read your telegraphic faces;
« Unable with the youth adored,
In that grim cordon of Mammas,
To interchange one tender word,
Though whisper’d but in queue de chats.
« Vous aussi, vous jolies victimes, vues comme des colombes, bridées pour la démonstration, avec les coudes à la crapaudine, et les pieds dans Dieu-sait-quelle position ;
« Oppressées par des chaperons vigilants, inspecteurs de vos airs et de vos manières, qui interceptent tous les voix murmurées et lisent vos visages télégraphiques ;
« Incapables avec votre jeunesse adorée, dans ce sombre écrin de Mamans, d’échanger un mot tendre, bien que seulement murmuré dans une Queue de chats.
On parle des jeunes danseuses, mises en scène pour le bal. « A la crapaudine » est une façon de couper la volaille, les pattes et ailes écartées à la manière d’un crapaud. Cette expression fait référence à un exercice d’assouplissement pour la danse : voyez la gravure ci-dessous.
Les cinq positions des pieds sont primordiales dans la Belle danse française, qui deviendra la danse classique. Les danseurs se doivent de les maîtriser à la perfection.
Les jeunes filles sont surveillées de près par des chaperons. Le quadrille, par exemple la figure du de « queue de chat », ne permet pas l’intimité et la discrétion qui peuvent exister dans une contredanse.
« Ah did you know how blest we rang’d,
Ere vile Quadrille usurp’d the fiddle-
What looks in setting were exchanged,
What tender words in down the middle;
« Ah, saviez-vous comme nous allions bénis, avant que cette vile Quadrille ne s’approprie le violon – Quels regards s’échangeaient dans un setting, quels mots tendres dans un down the middle ;
Le setting est un trait de contredanse qui s’exécute sur place, face à un autre danseur. C’est donc une bonne occasion d’échanger un regard ou un petit mot. Down the middle est une promenade à l’intérieur du set. Là aussi, une bonne occasion de se rapprocher de son partenaire à l’abri du regard des chaperons.
« How many a couple, like the wind,
Which nothing in its course controls,
Left time and chaperons far behind,
And gave a loose to legs and souls;
« How matrimony throve-ere stopp’d
By this cold, silent, foot-coquetting-
How charmingly one’s partner popp’d
The important question in poussetting.
« Combien de couples, comme le vent, que rien ne contrôle dans sa course, laissaient le temps et les chaperons loin derrière eux, et laissaient s’échapper les jambes et les âmes ;
« Comme le mariage se portait bien – avant d’être arrêté par cette coquetterie de pied froide et silencieuse – Avec quel charme son partenaire débouchait sur la question importante pendant la poussette.
La poussette est une figure de contredanse où le leader prend son partenaire par les mains, et le pousse. Les danseurs passent donc un moment mains dans les mains, à se regarder dans le blanc des yeux. Eventuellement de manière complice, tout dépend si le sort vous a assigné Darcy ou Mr Collins comme partenaire.
« While now, alas! no sly advances-
No marriage hints-all goes on badly;
‘Twixt Parson Malthus and French Dances,
We, girls, are at a discount sadly.
« Sir William Scott (now Baron Stowell)
Declares not half so much is made
By Licences-and he must know well-
Since vile Quadrilling spoil’d the trade. »
« Alors que maintenant, hélas! Pas d’avances futée, pas d’indice de mariage – tout va mal ; Entre le pasteur Malthus et les danses françaises, nous, les filles, sommes malheureusement au rabais
« Sir William Scott (maintenant Baron Stowell) déclare qu’on ne fait pas la moitié par licence – et il doit bien le savoir – depuis que Quadrille a gâché son commerce.
Thomas Malthus, prêtre anglican de son état, a publié plusieurs ouvrages sur la limitation nécessaire des naissances. Ses théories, associées à un quadrille froid et français, ne seraient pas favorables au badinage.
William Scott, premier baron de Stowell (1745-1836) est un juge anglais. Il est surtout connu pour avoir statué sur des affaires concernant l’abolition de l’esclavage. Il y explique qu’une chose peut être légale sans avoir été spécifiquement autorisée, tant qu’elle est juste et raisonnable.
Contredanse a plaidé : contre les plaisirs étrangers, pour la liberté des danses anglaises, pour le badinage.
Sixième partie : La dernière victoire
Qui va gagner cet affrontement ?
Quadrille n’a pas droit au chapitre, alors l’issue du conflit est évidente. Mais lisons plutôt.
She ceas’d-tears fell from every Miss-
She now had touch’d the true pathetic:-
One such authentic fact as this
Is worth whole volumes theoretic.
Instant the cry was « Country dance! »
And the maid saw, with brightening face,
The Steward of the night advance,
And lead her to her birthright place.
The fiddles, which awhile had ceased
Now tuned again their summons sweet,
And, for one happy night at least,
Old England’s triumph was complete.
Elle s’arrêta – Chaque demoiselle versa des larmes, elle avait maintenant touché au vrai pathos ; un fait aussi authentique que celui-ci vaut tous les volumes de théorie.
Aussitôt, les pleurs fusaient ’Contredanse!’, et la jeune fille voyait avec un visage rayonnant l’intendant de la nuit s’avancer, et la mener à la place qui lui revenait par sa naissance.
Les violons qui tout à l’heure avaient cessé, maintenant jouaient à nouveau leur doux appel ; et pour une nuit heureuse au moins, le triomphe de la vieille Angleterre était complet.
Remarquez que Thomas Moore, tout fervent défenseur de la contredanse qu’il est, ne se fait pas d’illusion sur l’avenir de la contredanse. Ce qu’il décrit, c’est la dernière victoire d’une danse qui s’éteint lentement. La contredanse, d’abord rejetée dans les campagnes, ne sera bientôt plus dansée dans la noblesse et la bourgeoisie. Elle gagnera cependant le répertoire populaire et puis traditionnel.
Le quadrille brillera dans les salles de bal jusqu’à l’aube de la première guerre mondiale. Il connaîtra des mutations importantes au niveau du style et des pas. Il subira lui aussi la concurrence de nouvelles venues, les danses en couple tournantes : valse, polka, mazurka…
Voici qui conclut ce long article sur le poème de Thomas Moore, Country Dance and Quadrille. A defence of the old dancing. Ecrivez-moi un commentaire, si l’article vous a plu, ou s’il reste des points à clarifier dans le texte, j’ai toujours plaisir à échanger avec mes lecteurs !