La Tempête, contredanse star du XIXe siècle

La Tempête est un classique des reconstitutions des bals 19e. Vous l’avez inévitablement déjà dansée ici ou là.

C’est une danse accessible à tous : il suffit de savoir marcher et de connaître sa droite et sa gauche.

De plus, il n’y a pas de limite de nombre : on peut toujours ajouter une ligne de quatre danseurs supplémentaire. La seule contrainte est la taille de la salle !

Bref, La Tempête, c’est connu comme le loup blanc… ou pas ?

Dans cet article, on ira voir au-delà de la danse d’animation facile.

On s’intéressera à l’origine de la danse et à sa diffusion progressive dans le monde entier (oui, oui !) tout au long du 19e siècle. On verra aussi les variations proposées par les maîtres à danser. Enfin, nous verrons ce que la danse est devenue en passant dans le répertoire traditionnel.

George Cruikshank, Moulinet. Elegancies of Quadrile Dancing, 11 avril 1817.

Le nom et l’origine de la Tempête

Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas m’aventurer dans le domaine de la création de la chorégraphie. Ce n’est pas de la paresse.

En ce moment, accéder aux sources, c’est aussi facile que d’amener l’Anneau au Mordor.

Donc, il semble que la danse soit bien d’origine française, comme son nom l’indique. Cette idée est reprises dans (entre autre) Hillgrove, 1857 :

”This dance was lately introduced into Paris, and is now in high repute in the soirées dansantes and the fashionable circles in England, and may be truly represented as general favorite, as it only requires an intimate knowledge of the figures to make it both agreeable and suitable for all ages”

« Cette danse a été introduite récemment à Paris, et est maintenant très connue dans les soirées dansantes et les cercles à la mode d’Angleterre, et (elle) peut vraiment être présentée comme un succès général, car elle requiert seulement une connaissance approfondie des figures pour la rendre à la fois agréable et adaptée à tous les âges ».

Thomas Hillgrove, The Scholar’s Companion & Ballroom Vade-Mecum, Turnbull & Co, New York, 1857.

Hillgrove se lance ensuite dans une métaphore politique sur la danse:

“When the figure is properly performed the dance is particularly social, cheerful and amusing, and combines the excitement of the country dance with the grace and elegance of the quadrille; while, at the same time, it symbolically illustrates the singular vicissitudes of the social condition of the land which gave its birth – or at least celebrity – the top going down and the bottom going up.”

« Quand la figure est convenablement exécutée, la danse est particulièrement sociale, gaie et divertissante, et (elle) combine l’excitation dans la contredanse avec la grâce et l’élégance du quadrille ; quand, en même temps, elle illustre symboliquement la singulière vicissitude de la condition sociale du pays qui lui a donné naissance – ou au moins, la célébrité – le haut descendant, et le bas s’élevant. »

Ibidem

Une référence aux révolutions françaises de 1789, 1830 et 1848.

Plusieurs sources anglophones indique que la Tempête est d’origine française. Pourtant, aucune source française (ou même francophone) ne vient étayer cette idée que la danse est à la mode à Paris dans les années 1850. Ou même dans les décennies précédentes.

On doit en conclure que La Tempête est tombée dans l’oubli en France depuis belle lurette. Au contraire, elle vivra une longue et belle vie dans les pays anglo-saxons : Grande-Bretagne, USA, et même Australie !

Partout, le nom reste « La Tempête », en français dans le texte. C’est une remarque importante.

En effet, il existe une autre danse, « The Tempest », qui est complètement différente, mais dansée au même moment. Pour plus d’information sur cette autre danse, lisez l’excellent article qui lui est consacré sur Kickery.

La Tempête, c’est l’histoire d’un succès phénoménal. Ce sont plus de 50 manuels de danse qui décrivent les figures, entre 1802 et 1917 ! Et je suis loin d’avoir trouvé toute les descriptions.

Et ce sont presque autant de variations à notre disposition.

La forme de la danse

Mais avant de nous intéresser aux figures, quelques lignes sur la formation originale adoptée pour la Tempête.

La Tempête, les danseurs se placent en lignes de deux couples côte à côte. Ces lignes se font face deux à deux. Ces groupes de 4 en face de 4 forment eux-mêmes une large colonne.

Description et schéma pour la Tempête, contredanse, dans Wale 1851.
Position pour la Tempête (enfin, la Tampete), dans Whale 1851.

Le type de progression est classique : duple minor set. A la fin de chaque reprise, les lignes ont progressé d’une place en avant. Lorsqu’une ligne arrive à la fin du longway, elle reste inactive pendant une reprise. Pendant cette reprise, les couples qui compose la ligne doivent se retourner vers les autres danseurs par couple (pas en tournant sur soi-même individuellement). Ceci afin que l’homme reste toujours à gauche dans le couple.

Il est intéressant de constater que dès 1851, Whale indique que tous les sets commencent en même temps. A cette époque, ce n’est donc plus une progression « boule de neige » qui est utilisée. Attention tout de même à ne pas généraliser cette remarque pour toutes les contredanses, ou même pour la Tempête. Elliott, vers 1854, indique qu’il faut utiliser la progression boule de neige.

La Tempête: quadrille ou contredanse ?

Une idée revient souvent au fil des sources, celle que la Tempête est un hybride entre la quadrille et la contredanse (en colonne). En plus de l’extrait de Hillgrove donné plus haut, voyez donc ce que dit Routledge en 1868 :

 “It unites the cheerfulness of the quadrille with the sociability of the country dance; and when its lively figures are correctly performed, it is both amusing and animated.”

« Elle [la Tempête] réunit la gaité du quadrille avec la sociabilité de la contredanse ; et quand ses figures entraînantes sont exécutées correctement, elle est à la fois drôle et animée. »

George Routledge (éd.), The Ball-Room Companion, George Routledge & Sons, Londres, 1868.

La filiation entre la Tempête et la contredanse semble assez évident. Il s’agit s’une (double) colonne, avec une progression duple minor set. La seule particularité est que l’on progresse en ligne de quatre danseurs plutôt qu’en couple.

Les figures (moulinet, rondes…) sont hyper courantes dans les contredanses.

J’ai eu plus de mal à imaginer un lien avec la quadrille. Au fil des sources, deux explications se dégagent.

Reilley 1870 nous dit:

“As now danced, it is usually commenced in the form of a number of quadrilles, each of which separates into lines, facing each other, the sides forming on the leads; as in this diagram.”

«Comme on la danse maintenant, elle commence généralement en forme d’un nombre de quadrilles, chacun se sépare en lignes, face à face, les Côtés s’alignant sur les Têtes, comme dans ce diagramme »

E. B. Reilley, The Amateur’s Vademecum, A practical Treatise on the Art of Dancing, J. Nicholas, Philadelphie, 1870.

Schéma de la position des danseurs pour la Tempête dans Reilley 1870
Position des dansuers pour la Tempête, selon E. B. Reilley, The Amateur’s Vademecum, J. Nicholas, Philadelphie, 1870.

Effectivement, on peut visualiser un quadrille, avec les partenaires des couples de côté se faisant face et alignés sur les têtes.

Vous remarquerez que les couples 3 et 4 seront séparés dès la deuxième reprise. De plus, les « couples » alignés sont inversés : dame à gauche et homme à droite. Cela ne change rien au fonctionnement de la dance.

Carpenter 1879 propose une autre solution. Il décrit différentes « Figures for plain quadrille », souvent dansées en remplacement de la 3e ou 4e figure. Parmi celle-ci, une version de La Tempête qui commence par un grand rond. A la fin du grand rond, les hommes des couples de tête lâchent la dame qui les précèdent, et continuent tout droit. De cette façon, deux ligne face à face sont formées : couples 1 et 4, en face des couples 3 et 2.

Carpenter ne donne pas de schéma, alors je m’y colle :

Passage du quadrille au « quadrille plat » ou double colonne

Remarquez que chacun reste à côté de son partenaire et progressera avec lui, au contraire de la proposition précédente.

Aussi, les positions sont inversées entre cavaliers et dames par rapport à la version précédente.

Bref, contredanse ou quadrille, tout est question de point de vue.

            La Tempête est-elle une Mescolanze ?

Dans les années 1820 et 1830, un type de danse appelée « mescolanze » fait son apparition en Grande-Bretagne. G.M.S. Chivers, professeur de danse, annonce l’avoir inventée

Cela nous intéresse parce qu’il s’agit d’une sorte de contredanse où quatre danseurs font face à quatre autres, exactement comme dans la Tempête.

La Tempête serait-elle une survivante du genre ?

La question fait débat parmi les historiens de la danse. Il est certain que la Tempête existe dès 1802, donc avant les publications de Chivers. Mais il se pourrait qu’il soit le promoteur d’une danse pré-existante.

Mescolanze ou pas, la Tempête est la seule danse en « 4 face à 4 » qui ait eut un succès durable au XIXe siècle.

Les variations

Vous connaissez probablement cette version de la Tempête (Hillgrove, 1857) :

  • En-avant 8, 2x
  • Chassez croisés en couple et retour
  • En-avant 8, 2x
  • Moulinet 4-2-2
  • Cercles 4-2-2
  • En-avant 8, avancez et progressez

Sachez que plusieurs versions ne commencent pas par l’avant-8. Certaine commencent par une chaine à quatre ou right and left through (Liller, 1842). D’autres débutent avec un grand rond (Sichore, 1891).

Il arrive que les chassés ne se fassent pas dans la ligne, mais avec le couple d’en face. Il arrive même qu’il n’y ait pas de chassé du tout ! Mais avouons-le, ces versions-là sont bien moins fun.

Moulinets et rondes en 2-4-2 sont les mouvements signatures de la Tempête d’après moi. Seule la source la plus ancienne (1802) propose des moulinet et ronds à quatre. Tous les autres auteurs indiquent : moulinet (ou rond) pour les quatre danseurs du centre, les couples restant font de même chacun de leur côté.

Pour ce qui est de la progression, il y a trois écoles :

  • Individuelle : on progresse en avançant et en croisant le danseur d’en face épaule droite
  • Par couple : le couple meneur passent entre les partenaires du couple suiveur, qui se lâchent la main.
  • En pont : le couple suiveur forme un « pont » sous lequel passe le couple meneur

Dans le répertoire populaire

Vous aurez compris, les sources historiques regorgent de versions différentes pour la Tempête, véritable « hit » dans les bals du XIXe siècle.

Je me permets une petite incursion dans le domaine des danses populaires. En, effet, la Tempête est connue dans les campagnes anglaises sous le nom de « Tom Pate » (collectée par Sibyl Clark, auprès de Edith Palmer, dans le Northamptonshire). « Tom Pate », « Tempête » … C’est évidemment une déformation du nom original.

En Ecosse aussi, la Tempête a été adoptée dans le répertoire des ceilidhe. Néanmoins, les premières figures de la chorégraphie sont très différentes, voyez plutôt cette vidéo. Les dernière figures (chassé-croisé en couple, ronde, moulinet, progression) sont par contre en accord avec les sources historiques.

L’Irlande a elle aussi intégré la Tempête à son répertoire traditionnel. Au passage, la danse a été débaptisée : elle s’appelle maintenant « Siege of Ennis ». Le titre, contrairement aux apparences, ne fait pas référence à un événement historique quelconque.

Et on a jouté du stepping typique de l’île d’Emeraude (threes, sevens et rising steps). Néanmoins, la danse est toujours reconnaissable. C’est un classique des soirées ceili !

Sources citées

Constantine Carpenter, Glides, Waltzes, Galops, Quadrilles, Etc., Philadelphie, 1879.

G. M. S. Chivers, The Dancer’s Guide, c.1820.

Thomas Hillgrove, The Scholar’s Companion & Ballroom Vade-Mecum, Turnbull & Co, New York, 1857.

Johann Heinrich Katfuss, Taschenbuch für Freunde und Freudinnen des Tanzes, 2e partie, Leipzig, 1802.

Johann Nicolaus Liller, Tanz-Kunst, Leipzig, 1842.

E. B. Reilley, The Amateur’s Vademecum, A practical Treatise on the Art of Dancing, J. Nicholas, Philadelphie, 1870.

George Routledge (éd.), The Ball-Room Companion, George Routledge & Sons, Londres, 1868.

T. Erp. Sichore, A Treatise on the Elements of Dancing, The Bankcroft Company, San Francisco, 1891.

Mr. Whale & Daughter, New dance. La Tempète. As dances at the Queen’s last ball, William Vanderbeel, New York, 1851.

Conclusion

On ne présente plus la Tempête. Cette contredanse a fait danser dans les bals tout au long du XIXe siècle. Comme pour toutes les danses à succès, de nombreuses versions ont été publiées. Cela offre aux maîtres à danser autant de variations à présenter à leurs étudiants.

Finalement, peu importe la version que vous choisissez d’enseigner, tant que vous conservez son caractère amusant et léger. Aussi, La Tempête se prête mieux à un grand nombre de danseurs. Si vous n’êtes que 16, par exemple, la moitié des danseurs est inactive une reprise sur deux, ce qui est dommage.

Et vous, quelle version de la Tempête préférez-vous ?

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