Rencontre avec Cécile Laye

Psst, English-speaking folks: a translation of this interview is available here.

Aujourd’hui, je papote avec Cécile Laye, fondatrice de la compagnie Chestnut. Vous avez probablement déjà vu ses vidéos sur Youtube, ou même participé à l’un de ses bals en costumes.

Cécile Laye est l’une des références de la danse anglaise à figures en France. Avec sa compagnie Chestnut, elle contribue à faire connaître les danse à figures anglaises en France et à l’étranger. Cécile poursuit également un important travail de reconstruction de danses, de publication et d’enregistrement de musique à danser.

Cécile Laye, spécialiste de la danse à figure anglaise.

Quel est ton parcours dans la danse ancienne ?

Enfant, j’ai fait beaucoup de danse : classique, rythmique… au point d’envisager une formation professionnalisante. Mais j’étais bonne élève, alors mes parents m’ont poussée à  continuer mes études et j’ai commencé une licence de langue anglaise.

Au cours de mon année d’étude en Grande-Bretagne, j’ai participé à un stage de danse médiévale avec les Dolmetsch (aujourd’hui The Historical Dance Society).

De retour en France, j’ai continué mon apprentissage avec Francine Lancelot et Andrea Francalanci et j’ai abandonné l’anglais pour me consacrer au yoga et à la danse.

Lors d’une de mes visites en Angleterre, j’ai rencontré le groupe Nonsuch History and Dance, dirigé par Peggy Dixon et Jack Edwards. Les soirées de stages étaient consacrées à la présentation d’une époque à travers les costumes, les photos… J’ai trouvé que c’était une façon intéressante de se plonger en profondeur dans une époque. C’est avec Nonsuch History and Dance que j’ai découvert les danses de John Playford et je suis tombée « en amour » avec ce répertoire. J’aime l’harmonie et l’humanité qui se dégage de ces danses.

A partir de ce moment, je suis retournée travailler régulièrement avec la EFDSS (English Folk Dance and Song Society).

John Playford (1623 – 1686?), auteur du recueil « The (English) Dancing Master ».

Par chance, j’ai eu l’occasion de participer à des stages  où la qualité d’exécution de la danse  était mise en avant. Dans les stages animés par Ethel Anderson par exemple, il y avait toujours un moment consacré à la technique de danse. C’est avec elle et avec Marjorie Fennessy que j’ai  également découvert les danses de Pat Shaw.

Bref, j’ai rencontré beaucoup de gens intéressants et généreux, comme le chercheur Tom Cook et maintenant Andrew Shaw, toujours prêts à m’aider dans ma recherche ou à me fournir des renseignements. Cela m’a confirmée dans l’idée que je voulais approfondir ce répertoire.

Parle-nous des débuts de Chestnut.

En France, nous étions peu à travailler sur la danse et la musique anciennes. Je me suis lancé dans le mouvement avec naïveté en proposant des stages de Country Dances. Je me suis fait ma place sans trop d’état d’âme au début. Les questions concernant la légitimité sont venues plus tard. J’ai d’abord fondé l’association Amarillis qui a ensuite été remplacée par Chestnut.

Très vite, j’ai travaillé avec des musiciens et une chanteuse et, ensemble, nous avons conçu un spectacle où alternaient musique, chant et danse pour renouveler l’intérêt du public.

Par la suite, j’ai conservé cette idée d’alternance, mais en rajoutant des textes. Les Country Dances sont des danses formelles, alors  le choix des textes et des musiques est d’autant plus important si l’on veut recréer le contexte entourant les danses et susciter des émotions chez le spectateur.

En fait, les constantes de mon travail se sont mis en place naturellement. Puis j’ai travaillé pour me donner d’avantage d’assise par rapport à ce que j’avais fait d’instinct et c’est ainsi par exemple que je suis rentrée au cours Florent, à Paris, pour étudier le théâtre.

Quels sont tes thèmes de recherche, tes sources et ta méthodologie ?

Je ne dirais pas que je suis une chercheuse au sens strict, mais plutôt une praticienne qui interroge la matière qu’elle enseigne.

J’étudie et enseigne les trois répertoires des danses anglaises à figures (ancien, traditionnel et moderne), mais ce sont les danses de John Playford qui constituent mon sujet de recherche car, à mon avis, c’est le répertoire qui a le plus pâti du parti pris du Revival anglais.

Frontispice de la première édition du Dancing Master (1651), la source privilégiée des recherches de Cécile Laye.

Au début, je répétais ce que j’avais appris. Puis, ayant constaté que les prescriptions de différents groupes de danse ancienne et de l’EFDSS étaient différentes,  j’ai lu le texte original de Playford en le comparant à celui de Sharp afin de me faire ma propre opinion. J’ai pris conscience qu’il y avait  parfois un écart considérable entre les propositions dogmatisées de Cecil Sharp et le texte de John Playford, ce dernier étant parfois plus intéressant.

Depuis, je m’efforce de travailler uniquement à partir des documents d’époque.

J’ai été impressionnée par l’introduction de Margareth Dean Smith au facsimilé de la première édition. Elle pense que les danses de la première édition constituent un « mixed bag » et je suis d’accord avec elle. Toutes les danses ne se valent pas et elles présentent des différences structurelles importantes, et c’est ce que le travail de Cecil Sharp, aussi exceptionnel soit-il, ne permet pas de voir.

Par la suite, j’ai postulé pour obtenir une bourse de recherche auprès du Centre National de la Danse, à Paris, et l’ayant obtenue, mon travail a consisté à classer les 105 danses de la première édition du Dancing Master. Les cinq axes de classement  que j’ai trouvés me permettent de démontrer que les danses de la première édition constituent un répertoire architecturé de manière complexe.

Travailler sur le répertoire des danses anglaises qui englobe quatre siècles durant lesquels le répertoire s’est constamment renouvelé, implique de travailler sur des sources différentes. Je m’efforce de m’informer sérieusement sur toutes les périodes mais sans avoir, pour l’instant, travaillé d’une manière aussi fouillée que sur la première édition.

Mon prochain projet de recherche portera sur les analogies entre les répertoires italien et anglais du XVIIe siècle. J’aimerais pour ce projet travailler en tandem avec une collègue spécialiste des maîtres italiens.

 Je m’efforce de redonner au répertoire des danses à figures anglaise ses lettres de noblesse, parce qu’il reste souvent méconnu en France et peu considéré dans le champ de la danse ancienne en général.

Est-ce que tes recherches ont changé la façon dont tu danses et dont tu enseignes ?

Fatalement, oui.

Jacob Duck, peinture du milieu du 17e siècle titrée à tort « Cotillon ».

Pendant longtemps, j’ai hésité entre  commencer les danses à figures du pied droit ou les commencer du  pied gauche, mais, en travaillant simultanément sur les danses de Playford, sur les danses de la renaissance française et italienne et  sur la mesure anglaise, j’ai pris conscience que ces répertoires étaient contemporains et je n’ai plus pu supporter d’enseigner la pavane en commençant du pied gauche et de proposer le set and turn – qui correspond à une séquence de pavane – en commenant du pied droit. J’ai renoncé à la schizophrénie et j’ai choisi la cohérence.

Je suis revenue au texte original toutes les fois que cela m’a paru juste.

C’est la première fois que Chestnut a participé au Bal de l’Europe que j’ai effectué la bascule d’un système à l’autre. J’ai eu l’impression de faire un saut dans le vide ! Ensuite, il a fallu imposer ma vision des choses et expliquer mes options qui ne concernent pas seulement le pied de départ des figures mais les figures elles-mêmes. En effet, à partir du moment où j’ai lu attentivement le texte de Playford, je me suis aperçue que Sharp prenait parfois des libertés avec le texte et je suis revenue au texte original toutes les fois que cela m’a paru juste. Je le fais encore et ce sont souvent des versions revisitées de cette manière que je propose à l’enregistrement.

La recherche m’a permis d’étoffer ma pratique et mon enseignement. Elle m’a permis de m’affirmer.

Quand tu as débuté l’enseignement, quelles difficultés as-tu rencontrées ?

Je connaissais très peu de danses. De bonnes danses, mais peu. Au fil des années, j’ai élargi mon répertoire en l’étoffant  avec de nouvelles danses anciennes mais aussi avec des danses traditionnelles et des chorégraphies modernes, ce qui me permet de faire des propositions variées aux danseurs et d’aiguiser leur appétit pour de nouvelles découvertes.

La pédagogie me passionne, alors je prépare mes cours avec soin.

J’ai été à bonne école car, au collège, mon professeur d’anglais et mon professeur de français étaient des pédagogues exceptionnels : ils nous préparaient à faire des choses difficiles en déjouant les situations qui pouvaient nous mettre en échec.

J’ai élaboré mes progressions pédagogiques à partir de cette expérience de jeunesse : la structure d’un cours doit être réfléchie, chaque élément en introduisant un autre plus difficile. Dans mes cours beaucoup d’exercices dansés se concentrent sur une figure en particulier ; les élèves doivent comprendre cette figure depuis plusieurs places afin de l’intégrer et d’avoir la possibilité de la retrouver facilement et rapidement en situation de bal. Ensuite, je leur propose une danse complète où ils retrouvent la figure étudiée qui ne présente alors plus aucune difficulté.

Je fais en sorte que les gens apprennent des choses essentielles pour la danse en s’amusant et en conservant le plaisir de danser ensemble, c’est pourquoi j’encourage les danseurs avancés à venir aider les débutants. Les progrès sont accomplis par mimétisme.

Cécile Laye enseignant un pas.

D’autres éléments qui te tiennent à cœur au niveau de la pédagogie ?

Je travaille beaucoup sur le rapport entre le mouvement et la musique : compréhension de la pulsation, reconnaissance des phrases musicales et de la mesure. Comme le  répertoire est vaste, il est possible de choisir des musiques qui se mettent en valeur en créant des contrastes.

Par ailleurs, je commence toujours un cours par un échauffement court qui prépare les corps à la danse. Sans cet échauffement le travail sur le style sera impossible et toute l’harmonie qui se dégage des danses s’évanouira. Ce qui était de la danse deviendra gymnastique. Je pense que les Country Dances sont des danses choriques et qu’il faut les faire travailler comme des chœurs en mouvements où les danseurs, au demeurant essentiels, s’effacent devant la figure à constituer et le travail d’équipe à mener.

Il est possible de travailler sur une danse et de la nettoyer jusqu’à un certain point au-delà duquel continuer serait contre-productif car les danseurs se lasseraient, ce qu’il faut éviter à tout prix.

Ce sont mes élèves qui m’ont permis d’apprendre mon métier

Ma pédagogie s’est affinée en regardant les gens, et en répondant à leurs questions. Finalement, ce sont les élèves qui m’ont permis d’apprendre mon métier et de me remettre en question constamment : il est important de chercher quels sont les éléments de langage et les exercices qui fonctionnent le mieux et bien sûr quelles danses plaisent le plus. Le champ de la réflexion est infini !

Comment représenter la danse ancienne sur scène pour un public d’aujourd’hui, sans trahir l’esprit de la danse ?

La compagnie Chestnut et Cécile Laye en spectacle

Je ne pense pas que le spectacle dénature la tradition, qui est de toute façon une reconstitution. A l’époque de Jacques Ier  et de son fils Charles Ier, les figures constituaient une des composantes des masks. La cloison entre les divertissements royaux et les danses de société était assez poreuse.

Le spectacle ne constitue pas une trahison, au contraire il donne de la visibilité à un répertoire méconnu

Je suis nourrie par mes lectures sur la danse, la musique, l’histoire de cette époque jacobéenne et caroline et tous ces ingrédients imprègnent tout naturellement les spectacles que je construis. Le spectacle n’est pas une conférence mais il permet de faire passer beaucoup d’informations sans en avoir l’air.

Comme je l’ai dit, je fais très attention au rythme et à l’alternance des éléments qui composent mes spectacles. Pour le spectateur non initié, les danses se ressemblent toutes, il peut donc décrocher assez vite si d’autres éléments ne viennent pas créer une rupture. C’est là que les textes, la musique vivante ou à partir d’une bande son, les bruitages, la mise en scène, sont essentiels. Je fais en sorte que les spectateurs ressentent des émotions différentes comme c’est le cas dans la vie et tout le monde travaille pour que le résultat évite le mièvre qui a fait beaucoup de tort à la danse ancienne. Je n’ai qu’une ambition : emporter les gens dans ma proposition et leur donner envie d’en savoir plus. Si mon spectacle pique leur curiosité, j’ai atteint mon but !

Je ne pense pas que le spectacle constitue une trahison, au contraire il donne de la visibilité à un répertoire méconnu en France ou encombré de préjugés ce qui est pire. Il est important de présenter le répertoire des danses anglaises de manière attractive afin d’attirer un nouveau public. Comme pour les autres répertoires de danse ancienne, nous manquons de jeunes et d’hommes en particuliers …

En parlant de visibilité, quel est le rôle des films et séries historiques ? « Orgueil et Préjugés » de 1995 par exemple ?

Le film de 1995 nous a amené un public – de jeunes femmes surtout – qui se sont projetées dans le rôle d’Elizabeth Bennet et dans son intrigue amoureuse avec Darcy (Colin Firth). Même si aucune des danses proposées par ma collègue, directrice de la danse sur le film, Jane Gibson, n’auraient pu être dansées par Jane Austen  vers 1793 parce qu’elles appartiennent à des éditions bien antérieures, elles sont malgré tout bien choisies et bien interprétées*.

D’une manière générale, toutes ces adaptations  donnent de la visibilité à ce répertoire et c’est toujours bon à prendre, même si les professeurs de danse doivent ensuite faire des commentaires sur la pertinence historique de ce qui a été vu et admiré.

Le film a généré en Angleterre beaucoup de recherche et  d’édition concernant ce répertoire Regency – Ier Empire et il  faut saluer ces initiatives.

Est-ce que tu vois le bal comme la synthèse d’un ensemble recherche – enseignement – spectacle, ou comme un pur divertissement ?

Le bal  doit d’abord être un divertissement pour tous, mais bien sûr il reflète mon parcours et il témoigne de mes goûts.

9e bal en costume de Chestnut (2018), mené avec brio par Cécile Laye.

Le bal comme les cours ou les stages est aussi un travail d’orfèvre parce qu’il faut trouver un équilibre entre différents éléments : des danses faciles et accessibles aux nouveaux venus, des danses représentatives du répertoire que tous ceux qui ont l’habitude de la danse pourront faire plus ou moins facilement et, finalement, une proportion de danses exigeantes et donc préparées tout au long de l’année et réservées aux danseurs passionnés par le répertoire et qui lui consacrent parfois beaucoup de temps.

Je crois beaucoup au travail, qui n’exclut aucunement le plaisir.

Si toutes les danses proposées peuvent s’apprendre en deux minutes – comme c’est le cas pour un mixer, les danseurs ne sont pas incités à venir travailler au sein d’un cours ou d’un stage pour découvrir les danses les plus belles et les plus élaborées. Générer une petite frustration parce que tous les participants n’ont pas accès à toutes les danses est intéressant car cela aiguise l’intérêt.

Comme il est intéressant de ménager de courts moments de démonstration. Je pense qu’il est important de montrer une  ou deux danses difficiles, et bien dansées par une équipe très entraînée que l’on retrouve ensuite dans le bal. Ainsi, les participants au bal absorbent beaucoup d’éléments concernant le style et le phrasé,  sans  qu’il soit besoin de faire de longs discours sur le sujet.

Comme tu vois, je travaille beaucoup et je crois beaucoup au travail qui n’exclut aucunement le plaisir.

Les questions flash

Une personne inspirante : Pat Shaw, même si je ne l’ai pas connu.

Ce qui t’énerve : la danse ancienne est souvent considérée comme une discipline vieillotte, rassie, poussiéreuse, qui véhicule des valeurs suspectes !!! A croire que ceux qui véhiculent ces préjugés n’ont rien vu, rien lu et rien écouté depuis quarante ans.

Ta danse préférée : Nonsuch … et tant d’autres ! J’aime beaucoup les danses qui utilisent la musique de Purcell et d’Haendel. C’est tellement vrai que je me suis mise à en chorégraphier moi-même depuis quelques années. Telemann conclut le trio.

Un conseil de lecture : Rebellion, The history of England from James Irst to the Glorious Revolution, de Peter Ackroyd. Le livre développe le contexte historique qui sert de toile de fond à l’édition du Dancing Master par John Playford.

Peter Ackroyd, le conseil lecture de Cécile Laye.

    *A ce sujet, lisez donc mon article sur Mr Beveridge’s Maggot.

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