Mr Beveridge’s Maggot, c’est qui, c’est quoi?

Mr Beveridge's Maggot dans Orgueil et Préjugés

De nombreuses danses du XVIIIe siècle sont dénommées « maggot »: Dick’s Maggot, Jack’s Maggot, My Lord Byron’s Maggot et la célèbre Mr.Beveridge Maggot, aka LA danse de la série de 1995 Orgueil et préjugés.

Cette dernière est probablement le maggot le plus connu parmi les danseurs et les fans de Jane Austen.

Mais vous êtes-vous déjà demandé d’où venait ce titre ?

Quelle est sa signification ?

C’est quoi, un « maggot », exatement?

Toutes les réponses dans cet article !

Elizabeth et Darcy dansent Mr Beveridge's Maggot, Orgueil et Préjugés, Simon Langton, 1995.
Elizabeth et Darcy dansent Mr Beveridge’s Maggot, Orgueil et Préjugés, Simon Langton, 1995.

La danse Mr Beveridge’s Maggot

La danse Mr Beveridge’s Maggot  (que j’abrègerai en Mr B. par facilité) est publiée dans le recueil de John Playford, « The Dancing Master ». Ce recueil est édité et augmenté plusieurs fois entre 1651 et 1728.

La danse qui nous occupe est présente dans toutes les éditions entre 1695 et 1728. La danse n’est pas publiée par la suite, et il n’est fait aucune mention d’elle ailleurs. Sa « durée de vie », si l’on peut dire, est donc relativement courte.

Jane Austen a-t-elle dansé ou connu cette danse?

Quelques faits sur Jane Austen:

  • Jane est née en 1775 (47 ans après la dernière publication de Mr B. );
  • Elle commence à fréquenter les bals vers 1790 (63 ans après la dernière publication de Mr B. )
  • Elle écrit « Orgueil et Préjugés » vers 1813 (85 ans après la dernière publication de Mr B. ).

On l’aura compris, Mr Beveridge’s Maggot n’est pas une danse que Jane Austen aurait pu pratiquer (ou faire danser à ses personnages).

Ce serait comme si le Lambeth Walk (dans sa version originale de 1937) connaissait un grand succès dans les boîtes de nuit d’aujourd’hui.

En réalité, la majorité des danses, que l’on peut voir dans les adaptations des romans austeniens au cinéma, ne sont pas des danses de l’époque de Jane Austen (1775-1817). Ce sont des danses beaucoup plus anciennes, du XVIIe siècle.

J’ai l’impression qu’en 1995, lors du tournage de la série Orgueil et Préjugés, on connaissait mal des danses de la Régence anglaise. La chorégraphe Jane Gibson s’est alors contentée de proposer de belles danses anciennes, comme Hole in the Wall (1695-1728), Upon a summer day (1651-1665) ou encore Jacob Hall’s Jig (1695-1728).

Mr Beveridge’s Maggot est un longway duple minor set for many as will. Je parle plus avant de ce type de danse et de ces expressions barbares dans cet article.

Le sens originel du mot « maggot »

Vous l’aurez compris, Mr Beveridge’s Maggot est une danse anachronique par rapport à Jane Austen. Mais ça ne nous empêche pas d’essayer de comprendre le pourquoi de ce titre étrange.

Dérivé de l’indo-européen *math-, maggot signifie, dans son sens premier « ver, asticot, larve ».

Asticot ? On sait que les noms de danses anglaises sont souvent originaux, comme Old Noll’s Jig, « la gigue de la vieille caboche », voire carrément étranges, comme Kill him with Kindness, « Tue-le avec gentillesse »…

Mais quand même, la signification de ce mot est pour le moins inattendue.

De plus, en anglais moderne, maggot désigne aussi un minable ou un raté…

La mélodie somptueuse entendue dans l’adaptation du roman de Jane Austen serait-elle vraiment nommée « l’asticot de M. Beveridge », ou encore « le minable de M. Beveridge »?

C’est tout de suite moins romantique, avouez 🙂

Une histoire d’animaux

Vous vous doutez bien que l’histoire ne s’arrête pas là!

Il existait en Angleterre une légende populaire qui expliquait pourquoi les gens sont fantasques ou grognons. Ce serait à cause d’une larve (maggot), qui vit dans leur tête et leur grignote le cerveau petit à petit, causant des sautes d’humeurs et des lubies bizarres.

Les Noces funèbres de Tim Burton (2005) fait référence à cette légende.

Dans le film, un asticot, prénommé Maggot, justement, vit littéralement dans la tête d’Emily, et sert de conscience au cadavre de la jeune fille farfelue.

Le personnage d’Emily se trouve être à la fois mort et fantasque : deux raisons d’avoir un asticot dans la tête.

Maggot l'asticot et Emily, Les noces funèbres, Tim Burton, 2005.
Maggot et Emily, Les noces funèbres, Tim Burton, 2005.

A partir de cette expression to have a maggot in someone’s head, le mot a commencé à désigner une fantaisie, un caprice, une obsession, qui « creuse » la tête de sa victime comme un asticot creuserait la terre.

Une mélodie entêtante

Le mot maggot  apparaît dans des titres de partitions dès la fin du XVIIe siècle et tout au long du siècle suivant, le plus souvent associé à des noms de personnes: Draper’s Maggot (1706), My lord Byron’s Maggot (1701) et bien sûr Mr. Beveridge Maggot (1695).

Ce mot fait référence  au caractère entraînant, obsédant de la mélodie. En anglais moderne on parle d’earworm, un ver d’oreille, pour désigner cet air qui vous reste en tête toute la journée.

Maggot, dans le titre d’une oeuvre, peut aussi signifier simplement « en l’honneur de ». La personne nommée peut être le créateur de la danse, le compositeur de la mélodie, ou un mécène généreux.

La traduction du titre de cette danse incontournable serait donc: « la fantaisie de M. Beveridge ». Ou, dans une traduction plus littéraire : « Fantaisie pour Monsieur Beveridge ».

Le maggot, un style de danse et de musique ?

Beaucoup de danse et mélodies sont titrées « Maggot » dans le dernier quart du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle en Angleterre.

Le recueil « The Dancing Master » de John Playford, dont la danse « Mr Beveridge’s Maggot » est issue, contient une quarantaine de maggots.

La plupart des maggots sont en 3/2, un rythme tout à fait particulier qu’on appelle aussi « Triple time ». C’est une sorte de hornpipe à trois temps, typique de la musique baroque anglaise. On retrouve d’ailleurs ce même rythme dans les œuvres de Purcell et Handel publiées à la même époque.

La mode du hornpipe « ternaire », aussi entêtant qu’il soit, ne durera pas longtemps : elle s’éteint dans le premier tiers du XVIIIe siècle.

Qui est Mr Beveridge ?

Attaquons-nous maintenant à la première partie du titre, « Mr Beveridge ».

Beveridge était maître à danser à la cour de Charles II, dans les années 1680. Un certain Isaac officiait au même poste : il a donné son nom à la danse « Mr Isaac’s Maggot ».

Ces deux maîtres à danser firent le succès du hornpipe à trois temps.

Malheureusement, ces deux hommes n’ont laissé que très peu de traces, et je ne peux même pas vous donner de date de naissance ou de décès…

Conclusions

Mr Beveridge’s Maggot est une superbe contredanse, typique du début su 18e siècle. Son nom provient d’un mystérieuse maître de danse. Le mot « maggot » indique bien comment l’agréable mélodie vous reste en tête encore longtemps après l’avoir écoutée.

C’est la série « Orgueil et préjugés » de 1995 qui a rendu célèbre cette danse. Pourtant, il est certain que Jane Austen (1775-1817) n’a jamais dansé cette jolie danse publiée entre 1695 et 1728.

Votre avis

Déçu(e) de savoir que Jane Austen n’a jamais dansé Mr Beveridge’s Maggot ? Avez-vous déjà pratiqué cette danse ? Envie d’essayer? Dites-moi tout en commentaire !

Sources

 Article « Maggot », Wiktionnaire, https://en.wiktionary.org (version du 16 mai 2016).

Article « Les Noces funèbres », Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Noces_funèbres (version du 14 décembre 2019).

 Mark Liberman, « Musical maggots », http://languagelog.ldc.upenn.edu (mis en ligne le 5 septembre 2013).

 Michael Quinion, « Maggot » , http://www.worldwidewords.org (mis en ligne le 5 janvier 2013).

 Eddie, « Miller’s Maggot », http://slowplayers.org (mis en ligne le 5 mai 2014).

George S. Emmerson, “The Hornpipe”, in Folk Music Journal, vol. 2, n°1, 1970, pp. 12-34.

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4 commentaires sur “Mr Beveridge’s Maggot, c’est qui, c’est quoi?”