La volte: mythes et réalités

Peinture représentant la volte

La volte est connue pour avoir été la danse préférée de la reine Elizabeth Ière (1533-1603) et de la reine Margot (Marguerite de France, 1553-1615). Elle fut très en vogue au XVIe siècle.

Au départ, le mot « volte » relève du vocabulaire de l’art équestre. Il désigne le tour qu’on fait faire à un cheval, lors du dressage.

La volte, volta ou lavolta (de l’italien voltare, tourner), est une danse du XVIe siècle. Elle est apparentée à la gaillarde et au tourdion.

La volte est originaire de Provence, où elle se danse encore de nos jours comme danse traditionnelle.

La volte est une espèce de gaillarde familière aux Provençaulx, laquelle se dance comme le tourdion par mesure ternaire : les mouvements et pas de ceste dance se font en tournant le corps, et consistent en deux pas, un souspir pour le sault majeur, une assiette de pieds joincts et enfin deux souspirs ou pauses

Thoinot Arbeau, Orchésographie, 1589.

Qu’est-ce que la volte?

Peinture représentnat la volte
Bal à la cour des Valois (détail), anonyme français, vers 1580.

La volte est une danse de couple, où le cavalier soulève sa partenaire en la portant sur sa cuisse pendant qu’il fait un tour sur lui-même. Oui, je sais, ce n’est pas très clair :). C’est pour ça que l’image est là ! A part l’iconographie, la description la plus précise dont nous disposons est celle de Thoinot Arbeau, écrit :

« …un pied en l’air, un pas, un sault majeur, & la posture de pieds joincts… »

Thoinot Arbeau, Orchésographie, 1589.

La volte possède deux grandes caractéristiques:

Une danse tournante

C’est une danse où l’on tourne beaucoup: environ 3/4 de tour tous les six temps. A tel point que les danseurs en ont le tournis:

« Et aprés avoir tournoyé par tant de cadances qu’il vous plaira, restituerez la damoiselle en sa place, ou elle sentira (quelque bonne contenance qu’elle face) son cerveau esbranlé, plain de vertigues & tornoyements de teste, & vous n’en aurez peult estre pas moins »

Thoinot Arbeau, Orchésographie, 1589.

[Et après avoir tournoyé par tant de cadences qu’il vous plaira, vous restituerez la demoiselle à sa place, ou elle sentira (quelle que bonne contenance qu’elle fasse) son cerveau ébranlé, plein de vertiges et tournoiements de tête, et vous n’en aurez peut-être pas moins.]

               Ce tournis induit par la danse est parfois considéré comme dangereux par les auteurs contemporains, car il provoquerait des fausses couches et altérerait la santé.

Une danse à scandale

La volte est considérée comme osée et scandaleuse. D’une part car la demoiselle peut soit s’asseoir, soit monter à califourchon sur la cuisse de son partenaire – ce qu’on trouverait encore aujourd’hui plutôt… provoquant. Le danseur peut aussi agripper sa partenaire par l’entrejambe pour la soulever plus facilement. D’autre part car il y a un risque réel de voir la chemise (c’est-à-dire les sous-vêtements), voire la cuisse dénudée de la danseuse pendant la danse. C’est pourquoi Arbeau la met en garde:

[Elle] « mettra sa main gaulche sur sa cuisse pour tenir ferme sa cotte ou sa robbe, affin que cueillant le vent, elle ne monstre sa chemise ou sa cuisse nue »

Et enfin, on considère à l’époque qu’il n’est pas convenable qu’une jeune fille de faire de grands pas. Ou avec les mots d’Arbeau:

Je vous laisse à considerer si cest chose bien seante à une jeusne fille de faire de grands pas & ouvertures de jambes: Et si en ceste volte l’honneur & la santé y sont pas hazardez & interessez

Thoinot Arbeau, Orchésographie, 1589.

[Je vous laisse décider si c’est bien convenable pour une jeune fille de faire de grands pas et ouvertures de jambes, et si dans la volte l’honneur et la santé ne sont pas risqués et dégradés]

L’ancêtre de la valse ?

Certains auteurs ont vu dans la volte l’ancêtre de la valse. Il est vrai que les deux danses ont un nom proche : volte / waltz. Elles présentent aussi toute les deux un rythme ternaire.

Valse et volte partagent aussi une réputation sulfureuse. En effet, la valse est très mal vue, à son arrivée en Europe de l’Ouest : des partenaires trop proches, une rotation dangereuse du couple, cette danse n’est vraiment acceptée que par les danseuses du Directoire les plus frivoles.

Cependant, la valse et la volte sont fondamentalement différentes et ne sont pas apparentées. Voir à ce sujet l’excellent article de Jean-Marie et Yvon Guilcher dans la bibliographie.

Les pas de valse et de volte ont des appuis différents, et le rythme n’est pas le même. La valse met un accent sur le premier et le quatrième temps, tandis que la volte met l’accent sur les temps  3 et 4. La position des danseurs n’est pas la même.

Et, pour les moins observateurs d’entre vous, le pas de base de la valse n’implique pas de soulever sa partenaire, à l’inverse de la volte 🙂

La volte au cinéma

La volte a été portée de nombreuses fois à l’écran. Je vous propose de comparer quelques chorégraphies, et de voir comment elles interprètent les instructions de Thoinot Arbeau.

Elizabeth, de Shekhar Kapur (1998)

C’est sans doute la scène de volte la plus passionnante pour le spectateur. Cette scène est à tomber, mais plusieurs points laissent à désirer.

Arbeau indique que la danse commence par une révérence, puis une préparation. Les danseurs font « quelques pas [marchés] dans la salle », puis font chacun quelques pas de « cinq pas » (tourdion ou gaillarde) pour se mettre en jambe. Jusque-là, rien de spécial, le film suit les conseils d’Arbeau.

Mais la partie de volte proprement dite ne marche pas: Ralph Fiennes ne soulève pas Cate Blanchett avec sa cuisse, il la soulève à la force des bras. Du coup, la danseuse reste très verticale (les jambes dans l’alignement du corps), plutôt que d’être « assise ». Aucun risque de voir le moindre bout de chemise dans cette chorégraphie, car le tour se fait assez lentement. Je ne pense pas que leur tête va tourner après ça…

Les deux danseurs ne font pas grand-chose avec leurs pieds, tout concentrés qu’ils sont sur le tour. Or, Arbeau dit bien qu’il y a des pas spécifiques (pied en l’air, pas en avant, saut majeur, posture).

Donc, un porté incorrect, sans tournoiement ni pas: le contrat n’est pas rempli.

Shakespeare in Love, de John Madden (1998)

La volte commence vers 00:58, avant ça il y a une sorte de danse à figures. Je commence par ce qui ne va pas: la musique n’a pas un rythme ternaire. Ce n’est pas une musique de volte, et cela change toute l’énergie de la danse.

Vous remarquerez aussi que les cavaliers soulèvent leur partenaire à la force des jambes: jambes légèrement pliées en préparation du porté, et jambes tendues pendant le tour – ce qui soulève effectivement la dame. Cependant, Arbeau dit:

« ..la pousserez devant vous avec vostre cuisse gaulche »

Thoinot Arbeau, Orchésographie, 1589.

On peut effectivement comprendre « pousser » comme « pousser la dame vers le haut en tendant les jambes », mais alors pourquoi Arbeau préciserait-il « avec votre cuisse gauche »? Je pense plutôt qu’Arbeau parle de soulever sa partenaire en l’asseyant sur sa cuisse gauche.

Enfin, dans Shakespeare in Love, la volte a été rendue progressive (avec changement de partenaire) pour les besoins du scénario.

Dans les points positifs, je retiens la position des danseurs (et de leurs bras) qui me semble correcte, et là, pour le coup, ça tourne, et ça tourne bien! On voit aussi le côté un peu licencieux car les danseurs se tiennent très près l’un de l’autre.

Elizabeth: the Golden Age, de Shekhar Kapur (2007)

Ce film est la suite du premier de la liste. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la chorégraphie est assez différente de celle du premier volet.  

Dans les points négatifs, on retiendra l’absence de pas et de tour. Les danseurs tournent, bien sûr, mais pas à s’en « ébranler le cerveau » 🙂 . On retrouve le porté à la force des jambes qu’on a vu dans Shakespeare in Love.

Ce qui fonctionne, c’est la musique – rythme ternaire, bonne vitesse. Et la position du porté, un peu « olé-olé »: sir Raleigh passe la main entre les jambes ou sur le bas-ventre de sa partenaire.

Les Tudors, ép. 7 , saison 2, de Michael Hirst (2007 – 2010)

Que dire? Le côté éhonté et indécent de la volte est bien là, mais pour le reste… Les pas sont inexistants et les portés fantaisistes.

La musique n’est pas une volte : il s’agit du cantique 166 des Cantigas de Santa María, datant du XIIIe siècle. La musique est donc anachronique de plus de 200 ans ! Et je ne parlerai pas des costumes… Une robe sans manches, vraiment?

Si la scène retranscrit très bien la tension sexuelle entre Henry VIII et Anne Boleyn, du côté danse, c’est juste une grosse blague.

Conclusion

Très visuelle grâce aux portés et aux tours, la volte a beaucoup inspiré le cinéma. Elle se prête bien à traduire le sentiment amoureux, et même l’attirance sexuelle entre les danseurs.

Cependant, elle se retrouve souvent mise à toutes les sauces pour servir les besoins du scénario: jeu sur les regards pour une volte tout en retenue dans Elizabeth, parallèle avec l’acte sexuel dans les Tudors ou création d’un triangle amoureux dans Shakespeare in love

Pour finir sur une note positive, voici une volte tout à fait correctement reconstituée, sur la musique du Playfords Ensemble:

Sources

Thoinot Arbeau, Orchésographie, 1589

Articles « Volte », « Cantigas de Santa María » sur Wikipédia (français, anglais et italien)

Dossier pédagogique « Danser au temps des chevaliers » par B. Jacquet et S. Quéant

Youtube pour les vidéos

Jean-Michel et Yves Guilcher, L’Histoire de la danse: Parent pauvre de la recherche, Conservatoire occitan, Toulouse, 1994.

Votre avis

Que pensez-vous de la chorégraphie dans « Shakespeare in Love »? Avez-vous déjà dansé la volte? Je suis intéressée par de retour d’expérience avec cette danse. Si vous avez des questions, des remarques, faites-le moi savoir en écrivant un commentaire!

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